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pour bien comprendre la conclusion, il faut remonter jusqu’aux prémisses, et la fin est contenue d’avance dans le commencement.

La première dissemblance que fait remarquer M. Guizot entre les deux grandes époques qui ont commencé, pour l’Angleterre en 1640, et pour la France en 1789, c’est chez l’une la prépondérance et chez l’autre l’absence de l’esprit religieux. À première vue, le XVIe et le XVIIIe siècle se ressemblent : ce sont également deux périodes de luttes et de controverses ; mais, au fond, un fait capital les divise. Au XVIe siècle, l’agitation est plus religieuse que politique ; au XVIIIe, elle est plus politique que religieuse ; aux yeux de M. Guizot, tout est là. « Ce fut, dit-il, la fortune de l’Angleterre au XVIIe siècle, que l’esprit de foi religieuse et l’esprit de liberté politique y régnaient ensemble. Toutes les grandes passions de la nature humaine se déployèrent ainsi sans qu’elle brisât tous ses freins, et les espérances comme les ambitions de l’éternité restèrent aux hommes quand ils crurent que leurs ambitions et leurs espérances de la terre étaient déçues. » Ce beau langage exprime une idée d’une vérité incontestable ; les premiers révolutionnaires anglais étaient des chrétiens, des puritains, des hommes d’une foi exaltée, et la plus grande arme de leur chef Cromwell était la prédication sur les matières les plus subtiles de la théologie ; les premiers révolutionnaires français furent au contraire des athées, élevés par les encyclopédistes dans le mépris et la dérision des choses saintes, et dont les passions, les préjugés, les intérêts, purent déborder sans rencontrer aucun frein. Ce n’étaient pas les saturnales du culte de la raison qui pouvaient beaucoup les contenir dans leurs emportemens.

Sans doute, les puritains anglais étaient aussi de hardis réformateurs au point de vue religieux, et, tout en conservant les principes généraux de leur foi, ils bouleversaient les conditions du culte établi ; mais, au milieu même de leurs écarts les plus divergens, entre ces sectes si nombreuses et si violentes, il y avait quelque chose de commun, le respect de l’Évangile ; ils reconnaissaient, dit excellemment M. Guizot, une loi qu’ils n’avaient pas faite, et s’humiliaient tous devant elle malgré leur orgueil. C’est cette loi qu’ils n’avaient point faite qui a manqué aux réformateurs français. Tout était de main d’homme pour eux, il n’y avait nulle part une muraille divine qui leur commandât de s’arrêter. De là, dès l’origine, ce caractère immodéré qui a distingué notre révolution et qui la distingue encore. De là, au contraire, cette limite toujours posée devant la révolution anglaise. Au plus fort des luttes politiques, quand toutes les passions soulevées semblaient menacer de ruine les institutions, il suffisait que l’établissement religieux anglican parût en péril pour que tout le monde posât les armes. C’est surtout comme catholiques que les Stuarts ont été exclus, c’est surtout comme protestant que Guillaume III a été appelé,