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qu’on fait avec complaisance pour y mettre plus aisément ses espérances ou ses illusions, c’est dans ce vide qu’on laisse la société suspendue et éperdue. Quant à nous, s’il nous reste un mât seulement après le naufrage, nous tâchons de faire du mât un radeau, laissant au temps le soin de faire du radeau un vaisseau, si cela se peut.

Ah ! si nous avions eu affaire à des républicains de la veille (non pas à ceux qui aiment la simplicité dans les palais qu’ils n’habitent pas, gens aimables qui veulent faire faire diète au prochain pour se guérir de leurs indigestions), si nous avions eu affaire à des républicains qui croient que la république ne peut pas se passer d’une certaine austérité ou d’une certaine raideur d’habitudes, si nous avions eu affaire à de pareils contradicteurs, nous aurions conçu plus aisément les objections qu’ils auraient faites aux frais de représentation. Quand ils auraient dit, par exemple, que voter une liste civile quasi-monarchique, c’était s’éloigner de l’esprit de la république, nous aurions eu peut-être de quoi leur répondre à ce propos, et même notre première réponse aurait été une question : Vous parlez de république, laquelle ? car nous en connaissons de diverses sortes. Mais cette controverse que nous aurions eue volontiers avec quelques sincères républicains de la veille, pouvions-nous de bonne foi l’avoir avec les personnes qui ne voulaient pas voter de frais de représentation, parce que c’était, disaient-elles, un commencement de monarchie, et que ce n’en était que le commencement ? Ou toute la république, dit-on, ou toute la monarchie. Nous rejetons hardiment ce dilemme comme inapplicable à l’état du pays. C’est un jeu de logique, et nous disons au contraire, dût la logique en murmurer, qu’il n’y aura de stabilité pour la république que si elle est un peu monarchique, et qu’il n’y aurait de stabilité aussi pour la monarchie, si elle se rétablissait, que si elle était un peu républicaine. Nous prétendons que ce gouvernement, formé d’idées et d’institutions différentes, est le gouvernement qui répond le mieux à l’état du pays, qui est fort complexe, où tout est mêlé, où la logique absolue n’est plus de mise, et qui vit, comme du reste vit un peu le monde depuis six mille ans, d’inconséquences, ou, pour mieux dire, par des raisons supérieures au raisonnement.

Une république entourée d’institutions monarchiques peut seule succéder à une monarchie entourée d’institutions républicaines. Cela a l’air d’un paradoxe, et c’est là cependant la vraie pensée du pays, qui ne s’inquiète pas de vivre selon la logique, mais selon ses mœurs et ses idées, selon ses traditions modifiées par ses opinions, Eh ! ne voyez-vous pas, nous dira-t-on, que votre monarchie entourée d’institutions républicaines a abouti à la république ? Vous voudriez bien, nous comprenons votre pensée, que la république, entourée d’institutions monarchiques aboutît aussi à la monarchie. — La monarchie a mis dix-huit années, et dix-huit années heureuses, à aboutir à la république ; nous ne demandons pas mieux que la république mette le même temps pour aboutir à la monarchie, et nous savons bien des républicains qui passeraient le bail, si on voulait le leur assurer.

Oui, plus nous examinons l’état du pays, plus nous sommes convaincus que nous n’avons à choisir qu’entre ces deux choses-ci : une république entourée d’institutions monarchiques, ou une république entourée d’institutions socialistes. La république par elle-même n’est qu’un nom ; c’est un cadre. Or, dans