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n’est unie au sujet par aucun rapport direct ou indirect. Oui, malgré le Dépit amoureux de Molière, malgré le raccommodement de Marianne et de Valère si finement amené par Dorine, malgré l’immense péril de la comparaison, s’il n’est pas absolument impossible de renouveler, de rajeunir le sujet, ce n’est qu’en se soumettant à la condition que j’indique. J’admettrai volontiers qu’il serait bon de changer l’âge de l’amant de Lydie ; car, si les affections qui naissent dans l’âge mûr ont souvent plus de durée, plus de persistance, il est certain qu’elles n’offrent pas, poétiquement parlant, le même intérêt que les affections nées dans la jeunesse. Arnolphe n’éveille pas dans l’ame du spectateur une aussi vive sympathie que Valère ou Clitandre.

Quoique la comédie, telle que nous la trouvons dans Plaute et dans Térence, ne soit pas vraiment latine, et relève de la Grèce bien plus que de l’Italie, c’est pourtant à Plaute et à Térence qu’il faudrait s’adresser, c’est leurs ouvrages qu’il faudrait interroger pour nous peindre une réconciliation amoureuse au siècle d’Auguste ; car, tout en traduisant Ménandre, ils ont tenu compte des habitudes romaines, et leur génie, bien que greffé sur le génie grec, a subi l’influence du milieu où il s’est développé. C’est, à mon avis, la seule manière d’échapper aux souvenirs de la vie moderne. Sans le secours de Plaute et de Térence, qui ont vécu, il est vrai, long-temps avant le siècle d’Auguste, il est bien difficile de ne pas prêter à Lydie, à son amant, les sentimens et les pensées qui bourdonnent autour de nous. En se nourrissant pendant quelques semaines de la lecture de l’Andrienne et de l’Eunuque, des Bacchides et de la Marmite, on se transporte sans effort au milieu de la vie antique, et l’on trouve naturellement les sentimens et les pensées qui doivent animer les personnages d’une comédie romaine. M. Ponsard ne paraît pas s’être préoccupé un seul instant des périls qu’offrait l’ode dialoguée dans laquelle Horace célèbre sa réconciliation avec Lydie. Voyons ce qu’il a fait.

L’auteur de la comédie nouvelle a bien compris que la neuvième ode du troisième livre, réduite à elle-même, ne fournissait pas les élémens d’une action dramatique. Pour l’enrichir, pour la féconder, il a eu recours à un procédé tout simple que le goût peut désavouer, mais qui n’est pas dépourvu d’adresse, quoique le succès ne l’ait pas justifié. Il a placé avant la scène racontée par Horace une scène dont Horace ne parle pas, et qui, à proprement parler, n’est qu’une sorte de prologue ; car cette comédie, qui n’a rien à démêler avec l’art dramatique, se compose de deux scènes. Lydie s’entretient avec Beroë, sa suivante, de l’infidélité de son amant, et compte les minutes qui la séparent de l’heure du rendez-vous. Elle délibère avec elle sur la meilleure manière d’arranger ses cheveux, sur le choix du peplum qui convient le mieux à son teint, à la forme de son visage. Elle s’attendrit et s’afflige en songeant à l’empressement de son amant dans les premiers mois de leur mutuelle affection, à l’indifférence qu’il témoigne aujourd’hui, Nous voyons l’ame de Lydie traverser en quelques minutes toutes les phases de l’orgueil blessé, du dépit, et se résoudre enfin à la vengeance. Puisque Horace a oublié l’heure du rendez-vous, elle ne l’attendra pas plus long-temps. Elle se vengera de l’infidèle en prenant un nouvel amant. Calaïs l’aime et la supplie de l’aimer ; elle se rendra aux vœux de Calaïs. Avant de se décider à cette cruelle extrémité, qui ne sera pour elle qu’une consolation incomplète, elle explique à Beroë la nature de sa passion