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pour qui je mourrai deux fois, si les destins veulent épargner la vie de ce bel enfant. — Eh bien ! répond Horace, si notre ancien amour nous réunit sous son joug d’airain, si je renvoie la blonde Chloë, si j’ouvre ma porte à Lydie que j’ai chassée ? — Lydie reprend : Quoiqu’il soit plus beau qu’un astre, et toi plus léger que l’écorce, plus irritable que la méchante Adriatique, je veux vivre avec toi, avec toi je veux mourir. — Certes on ne peut méconnaître la grace empreinte dans les strophes de cette ode dialoguée. Toutefois j’ai peine à comprendre que M. Ponsard ait espéré tirer de cette ode une comédie. J’y trouve, il est vrai, une scène de dépit amoureux très nettement tracée ; mais après Molière, après la scène si gaie de Marinette et de Gros-René, après la scène si tendre d’Éraste et de Lucile, et surtout après la scène adorable de Valère et de Marianne, est-il prudent de traiter un pareil sujet ? Comment n’a-t-il pas craint le reproche de présomption ? Je sais que la différence des temps et des personnages permettait de présenter le sujet sous un aspect nouveau, que le poète et la courtisane ne ressemblent pas aux caractères que Molière a mis sur le théâtre, et pourtant je ne crois pas qu’il soit donné à personne de rajeunir un tel sujet, même en fouillant l’antiquité. Et d’abord, est-il sage de produire sur la scène un poète, quel qu’il soit ? N’est-ce pas assumer une responsabilité périlleuse ? Un homme dont le génie est proclamé par l’Europe entière, Goethe, a pris Torquato Tasso pour le sujet d’une tragédie, et ses plus fervens admirateurs sont obligés de placer cette tragédie bien au-dessous de Faust et d’Egmont. Pourquoi ? C’est qu’un homme qui vit de rêverie frappe de langueur et de monotonie toute action dramatique. Cependant Goethe, en se chargeant de mettre en scène l’amant d’Éléonore, semblait pouvoir défier le péril d’une pareille lâche. Le héros qu’il avait choisi n’était pas d’une race aussi généreuse que la sienne. Comment se fût-il défié de lui-même ? Comment eût-il douté du succès de son entreprise ? Restait pourtant une question délicate, que Goethe n’a pas résolue ; il s’agissait d’intéresser le spectateur aux rêveries du poète en même temps qu’aux douleurs de l’amant, et Goethe, malgré la souplesse de son génie, n’a pas réussi à bannir de son œuvre la monotonie. L’exemple de Goethe aurait dû éclairer M. Ponsard et lui montrer combien il est difficile de mettre un poète en scène. À vrai dire, si la neuvième ode du troisième livre contient le germe d’une comédie, et pour ma part je ne le crois pas, je ne conçois qu’un seul moyen de le féconder : c’est d’accepter la donnée en changeant au moins le nom du premier personnage, en substituant à Horace un chevalier romain ; en un mot, de développer le thème poétique esquissé dans la neuvième ode en supprimant le poète.

On me répondra qu’une pareille métamorphose réduit à néant le sujet choisi par M. Ponsard. Je ne partage pas cet avis. Si le nom d’Horace, en effet, prête un puissant prestige à l’amant de Lydie, ce prestige même est un danger. C’est pourquoi je voudrais réduire la donnée de la neuvième ode à la peinture d’une réconciliation amoureuse entre la maîtresse et l’amant, en effaçant le nom d’Horace. Quelles paroles mettre dans la bouche du poète romain ? Inventer, c’est risquer une terrible comparaison ; traduire, c’est abdiquer, et le public a bien prouvé qu’il se range à mon avis par la froideur avec laquelle il a écouté les deux morceaux traduits par M. Ponsard, la neuvième ode du troisième livre, qui est le sujet tout entier, et la quatrième du premier livre, qui