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l’action surnaturelle, personnelle de Dieu même. C’est ainsi que s’expliquent à ses yeux toutes les grandes époques historiques jusqu’à ces époques mystérieuses qui cloront les temps. Prise dans un sens absolu, cette doctrine est faite pour troubler plus d’un esprit ; on a pu se demander si elle n’aurait point pour résultat d’affaiblir encore dans l’homme l’idée de la responsabilité déjà si amoindrie, en rejetant les événemens et les catastrophes sur le compte d’une loi nécessaire, fatale, dirai-je. C’est là l’objection grave qu’on peut lui faire. Prise dans un sens plus réel, plus applicable à notre temps, quelle est la signification de cette philosophie ? Elle signifie qu’il revient périodiquement des heures dans la vie des sociétés où la lutte entre le bien et le mal prend un caractère décisif, et où l’action providentielle, intervenant pour le bien, apparaît d’une manière plus visible. La liberté humaine ne serait point atteinte ainsi dans son essence, mais elle serait mise en demeure, d’une manière solennelle, de faire un choix, de revenir au bien, dont elle a laissé s’obscurcir la notion. De quelque façon qu’on juge, au surplus, ce point des opinions de M. Donoso Cortès, ce qui n’est point douteux, c’est le caractère d’opportunité qui se manifeste dans la restauration de ces vigoureuses doctrines en leur ensemble. Il y a aujourd’hui dans l’humanité une débilitation réelle ; c’est à cet état de débilitation que répond l’idéal sévère rajeuni avec un remarquable. éclat de talent par M. Donoso Cortès : c’est la religion du devoir, de l’obéissance, du sacrifice, de l’acte, opposée à la religion du droit absolu, de la révolte, de la jouissance, de la parole énervante. Cet idéal répond au besoin d’une substance saine, fortifiante, qui épure nos ames sophistiquées en quelque sorte par toutes les passions, et ce besoin heureusement, il y a plus d’hommes qui le ressentent maintenant peut-être qu’il y a quelques années. Entre nos pensées d’alors et nos pensées d’aujourd’hui, une révolution est passée. Bien des idées n’ont-elles point été rectifiées, bien des préjugés détruits ? Bien des choses qu’on eût jugées avec indifférence, ne les voit-on pas sous un autre aspect ? La puissance des catastrophes réveille des instincts supérieurs, provoque plus d’un sincère appel à la Providence. Plus d’un esprit tourmente dans un sens religieux le mystère de nos destinées. S’il n’est point inutile de remettre souvent sous nos yeux les symptômes de décomposition qui se font jour dans notre siècle, pourquoi ne tiendrait-on pas compte également de ces symptômes meilleurs ? Si tout n’est point favorable augure à l’heure où nous vivons, pourquoi n’espérerions-nous pas, en nous faisant les serviteurs libres et soumis de la vérité et du bien, retrouver une place nouvelle dans l’ordre général de la civilisation humaine ?


CH. DE MALADE.