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«… Arrivent les temps féodaux, dit-il ; la religion a toute sa force encore, mais elle commence à être viciée par les passions humaines. Qu’arrive-t-il alors dans le monde politique ? C’est que déjà un gouvernement réel et effectif est nécessaire, mais il suffit du plus faible de tous, et ainsi s’établit la monarchie féodale, la plus faible de toutes les monarchies. Suivez encore ce parallélisme : survient le XVIe siècle ; à cette époque, avec la réforme, avec ce scandale politique et social autant que religieux, avec cet acte d’émancipation intellectuelle et morale des peuples, coïncident les institutions suivantes : en premier lieu, à l’instant, les monarchies de féodales se font absolues. Vous croirez peut-être que c’est tout ; un gouvernement, que peut-il être de plus qu’absolu ? mais il était nécessaire que le thermomètre politique montât encore parce que le thermomètre religieux continuait à baisser, et l’institution des armées permanentes se produisit. Ainsi vous voyez qu’au moment même où la répression religieuse baisse, la répression politique monte à l’absolutisme et le dépasse ; il ne suffisait pas aux gouvernemens d’être absolus, ils demandent encore un million de bras ; malgré cela, il était nécessaire que le thermomètre politique montât encore, parce que le thermomètre religieux continuait à baisser, et quelle nouvelle institution fut créée ? Les gouvernemens dirent : — Nous avons un million de bras et ils ne nous suffisent pas, nous avons encore besoin d’un million d’yeux ; — et ils eurent la police. Ce ne fut point assez, parce que le thermomètre religieux baissait toujours, et les gouvernemens à ce qu’ils avaient déjà ajoutèrent la centralisation administrative, par laquelle arrivent à eux toutes les réclamations et toutes les plaintes. Malgré tout cela, le thermomètre politique devait monter encore, le thermomètre religieux continuant à baisser. Les gouvernemens dirent : Il nous faut plus encore, il nous faut le privilège de nous trouver partout en même temps, et ce privilège, ils l’eurent par le télégraphe Tel était, messieurs, l’état de l’Europe et du monde, quand le premier bruit de la révolution de février est venu nous annoncer qu’il n’y avait point assez de despotisme dans le monde, parce que le thermomètre religieux était descendu au-dessous de zéro. Eh bien ! messieurs, de deux choses l’une : ou une réaction religieuse est prochaine, et alors vous verrez comment, le thermomètre religieux remontant, commencera à descendre naturellement, spontanément, sans nul effort, le thermomètre politique jusqu’à signaler le jour heureux de la liberté des peuples. S’il n’en est point ainsi, si la répression religieuse s’affaiblit encore, je ne sais où nous irons, et je tremble en y pensant… Je dis que tous les despotismes seront peu de chose : c’est mettre le doigt dans la plaie, messieurs ; c’est la question de l’Espagne, la question de l’Europe, la question du monde et de l’humanité. Considérez une chose : dans le monde antique, la tyrannie fut féroce et destructive, et cependant cette tyrannie était limitée physiquement, parce que tous les états étaient petits et que les relations internationales étaient presqu’impossibles. Aussi n’y eut-il point de tyrannie sur une grande échelle dans l’antiquité, si ce n’est une seule, celle de Rome. Combien les choses sont changées ! messieurs, les voies sont préparées pour une tyrannie gigantesque, colossale, universelle. Examinez bien : il n’y a point de résistances physiques ni morales, — physiques, parce que, avec les bateaux à vapeur, les chemins de fer et le télégraphe électrique, il n’y a ni frontières, ni distances ; morales, parce que tous les esprits sont divisés, tous les patriotismes sont morts. — Dites-moi si j’ai ou non raison quand je me préoccupe de l’avenir