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époque de porter l’empreinte fatale de ce malfaisant esprit, d’avoir contracté, en subissant son influence, quelque chose d’entièrement stérile et de destructeur. Prenez l’idée moderne par excellence, l’idée de la liberté qui est devenue comme le symbole de la civilisation même : notre liberté est-elle le noble et religieux usage de nos facultés dans un but de conservation ? Non certes ; l’esprit révolutionnaire, en touchant à l’idée de liberté, l’a isolée de ce qui la féconde, — de l’idée du devoir dans la sphère morale, de l’idée d’ordre, d’autorité, dans la sphère politique, — et l’a rétrécie aux proportions d’une négation vivante, d’un dissolvant qui nous est apparu sous toutes les formes, de nos jours, sous la forme audacieuse et violente et aussi sous la forme naïve, comme le disait récemment M. Hugo, qui avait raison de ne point se compter parmi les naïfs. L’espèce naïve, c’est cet esprit d’opposition mesquin, taquin, ne voyant qu’un côté des choses, sans cesse occupé à déconsidérer tous les pouvoirs et qui s’étonne quand ses paroles se traduisent en révolutions. M. Donoso Cortès a décrit cette espèce en caractérisant un personnage espagnol qui a eu ses semblables ailleurs. « M. Argüelles, dit-il quelque part, ne sait aujourd’hui que ce qu’il a appris dans sa jeunesse, et ce qu’il a appris alors se réduit à aimer la liberté bien ou mal entendue au-dessus de toute chose et à haïr d’une haine aveugle les rois qu’il appelle des tyrans. À ses yeux, tout moyen de gouvernement est un moyen d’oppression. La liberté idéale, c’est le dégouvernement absolu… Sans force pour pousser à bout ses idées et ses instincts démocratiques, il n’a de pouvoir que pour neutraliser l’action des principes conservateurs et contribuer à rendre l’anarchie chronique dans la société. » Dieu a laissé à l’homme une liberté, la plus extrême de toutes, celle du suicide, du suicide moral comme du suicide matériel ; c’est cette liberté que nous pratiquons, que nous perfectionnons, que nous portons dans notre vie intellectuelle et réelle. N’avez-vous point vu vingt journaux discuter chaque matin comment la guerre civile pourrait bien éclater, si elle devrait aller du centre à la circonférence ou de la circonférence au centre, quel serait le meilleur mode d’insurrection, le mode pacifique ou le mode héroïque ? La société a beau répondre : Mais je n’en veux d’aucune sorte ! À quoi on objecte que c’est sortir de la question, que la constitution prévoit cette extrémité, puisqu’elle remet le soin de sa défense au patriotisme de tous les citoyens, auquel cas chacun est évidemment juge du jour et de l’heure où la société doit être défendue. Et ce qui est mieux, c’est que cela est constitutionnellement vrai, que ce principe impie est écrit dans toutes les chartes depuis soixante ans. La merveilleuse chose que les constitutions pour marquer les étapes de l’esprit révolutionnaire dans la vie d’un peuple ? Ceci est plus sérieux qu’il.ne semble ; c’est la lumineuse