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ôte toute chance de durée. Ne l’avez-vous point vu, il y a un demi-siècle, transformer 89 en 93 ? Demandez-vous aujourd’hui pourquoi tout vous a manqué, pourquoi vos tentatives les plus couronnées de succès en apparence ont fastueusement échoué : c’est que l’esprit révolutionnaire assistait au baptême de vos gouvernemens. N’est-il pas là toujours prêt, à tous les instans, épiant les justes émotions nationales, les revendications légitimes pour s’en emparer, s’embusquant à chaque détour pour saisir l’heure de pénétrer avec effraction dans la réalité ? On crie bonnement à la surprise parfois, comme si les surprises n’étaient pas le triomphe de l’esprit révolutionnaire. Comptez, en Europe, les causes héroïques et justes qu’il a tuées sous lui, en les dénaturant ou en paralysant l’ardent intérêt qui pouvait s’attacher à elles ! Voyez ce qu’il a fait de l’Italie, de Venise, la plus malheureuse et la plus pure de ses victimes expiatoires, de cette généreuse et infortunée Pologne à laquelle il a réussi à donner son Waterloo moral parmi nous ! La cause des proscrits elle-même, il l’a rendue moins sacrée. Comptez les nobles convictions politiques qu’il a frappées d’irrémédiables blessures, les idées qu’il a flétries, à tel point qu’on craint de les avouer ! Et ce beau gouvernement représentatif, resté le rêve ou le regret de bien des ames, réalisation, après tout, de l’intervention légitime des hommes dans la direction de leurs propres affaires. demandez-vous bien, la main sur le cœur, ce qu’il est devenu, s’il n’a point baissé dans l’estime de plus d’un homme réfléchi et sensé, s’il n’a point été atteint, lui aussi, de ce mal qu’engendre l’esprit révolutionnaire. « Si les gouvernemens représentatifs vivent de discussions sobres, dit M. Donoso Cortès dans son discours du 30 janvier 1850, ils meurent de discussions interminables. Un grand exemple vous est offert par l’Allemagne, si tant est que les exemples et l’expérience servent à quelque chose. Trois assemblées constituantes se sont produites en Allemagne en même temps : une à Vienne, l’autre à Berlin, la troisième à Francfort. La première est morte d’un décret impérial, un décret royal a tué la seconde. Quant à l’assemblée de Francfort, composée des savans les plus éminens, des plus grands patriciens, des plus profonds philosophes, qu’est-il arrive d’elle ? Jamais le monde ne vit un sénat plus auguste et une fin plus lamentable. Une acclamation universelle lui a donné la vie, un sifflet universel l’a tuée. Voilà l’histoire des assemblées allemandes. Et savez-vous pourquoi elles sont mortes ainsi ? Parce qu’elles n’ont rien fait, ni rien laissé faire, parce qu’elles n’ont point su gouverner et n’ont point laissé gouverner, parce que, une année durant, de leurs interminables discussions il n’est rien sorti qu’un peu de fumée. » Voilà l’œuvre de l’esprit révolutionnaire qu’il n’est point hors de propos de rappeler partout où vivent des assemblées.

C’est le malheur de presque toutes les idées que nourrit notre triste