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rebelle jusqu’à Proudhon le dernier impie, c’est la formule de toutes les révolutions… » Le mal est éternel sans doute, mais à quelle époque a-t-on vu en faire la théorie, comme une théorie de la santé pour le corps social ! Oui, en effet, c’est un des plus odieux sophismes de notre siècle que ce culte avoué chez les uns, cette faiblesse chez les autres, pour tout ce qui porte le nom de révolution. Fouillez les ames contemporaines : vous y trouverez une sorte de respect, d’amour secret, de prédisposition favorable pour ces mouvemens partout où ils éclatent, comme on respecte, comme on aime tout acte viril de la volonté humaine. Bien loin d’être l’acte viril de l’intelligence de l’humanité maîtresse d’elle-même, n’est-ce point là plutôt cependant la confession la plus manifeste de son impuissance ? Que signifient les révolutions le plus souvent ? Leur signification la plus claire est celle-ci c’est que l’homme, ayant à régler, à perfectionner, à élever sans cesse ses conditions d’existence, et désespérant d’y arriver par des moyens réguliers et légitimes, a recours, pour se dispenser de la sagesse, au hasard des luttes violentes d’où sortira l’inconnu ; il se décharge de sa propre responsabilité sur je ne sais quelle force mystérieuse des choses. Alea jacta est ! c’est le cri de l’impuissance, de l’imprévoyance, c’est le dernier cri de la liberté humaine qui abdique. Les révolutions sont du moins, dit-on, des époques où la vie afflue, où le progrès général de la civilisation s’élabore. Bien au contraire, ce sont des époques essentiellement stériles où tout est suspendu, où tout vit d’une vie factice. Jetez les yeux autour de vous : n’est-il point vrai que les intelligences perdent leur ressort et semblent prises de découragement, qu’elles doutent de l’avenir et se replient sur elles-mêmes, ou se morcellent dans ces polémiques passagères dont il ne reste rien, au lieu de se fixer sur quelqu’un de ces projets où se marque le progrès intellectuel d’un pays ? N’est-il point vrai que les ames s’affaissent dans cette succession de malheurs, d’anxiétés, d’incertitudes, que les notions s’altèrent, que les intérêts souffrent, que les cœurs s’aigrissent, et que plus cet état se prolonge, plus la moralité d’un peuple se corrompt, plus la civilisation elle-même devient un obscur problème ? Sait-on l’heure féconde des révolutions ? C’est l’heure où elles finissent. Par malheur, de nos jours, quand les révolutions sont vaincues dans les faits, l’esprit révolutionnaire survit, propagé par d’invisibles courans.

L’esprit révolutionnaire, à vrai dire, a été depuis soixante ans la fatalité de notre histoire. C’est l’esprit du mal élevé à sa plus haute puissance, agissant en grand sur une civilisation, sur un pays, corrompant ses principes, mettant un germe de mort dans chacun de ses essais, frappant d’une stérilité funeste ses pensées et ses efforts, faussant ses volontés et ses désirs. Quand on trace le bulletin des services de l’esprit révolutionnaire, ce qu’il faudrait dire plutôt, c’est qu’en se mêlant à tout, il empêche le peu de bien que l’homme parvient à faire, et lui