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et sur cette trame vigoureuse se détachent parfois des portraits ingénieusement tracés, des saillies éloquentes, des élans inspirés. Ce sont là les qualités distinctives qui se révèlent dans des morceaux de diverse nature, tels que les fragmens sur la Monarchie absolue en Espagne, sur la Question d’Orient, sur les Relations diplomatiques en Europe, qui forment comme la première portion de la vie intellectuelle de M. Donoso Cortès.

Ce même talent se montre sous un jour singulier dans des pages qui ont un double intérêt pour nous, puisqu’elles traitent de la France. M. Donoso Cortès a subi, assurément, l’influence de notre pays. Dans quelle limite pourtant ? De tous les Espagnols que l’instinct voyageur, l’impulsion de l’esprit public ou les alternatives des révolutions ont jetés parmi nous, il est un de ceux qui ont le mieux senti, le mieux exprimé la mission de la France dans le monde, — mission, hélas ! éclatante dans le mal comme dans le bien ; il est un de ceux aussi qui l’ont jugée avec le plus de liberté, d’indépendance et de nouveauté, ajouterai-je, — un de ceux qui ont su discerner avec le plus de sagacité parfois le caractère complexe de sa civilisation, — « mélange et trituration de toutes les autres, dit-il,… où tout étranger ressaisit comme un vague reflet de son pays… et dont l’influence, comme celle de l’atmosphère, ne peut être évitée, encore qu’on la fuie… » M. Donoso Cortès a séjourné en France, surtout de 1840 à 1843. Les Lettres de Paris, fruit de ce séjour d’émigré, sont un des plus curieux épisodes de la vie intellectuelle du penseur espagnol ; les événemens n’ont point de place dans ces Lettres ; les appréciations philosophiques y abondent, les aperçus s’y multiplient, l’analyse des systèmes y prend quelque chose de neuf et de saisissant. C’est un généralisateur encore, mais un généralisateur éloquent, varié, ingénieux, doué d’une spontanéité singulière de développement, comme l’Allemand Gans, ce me semble, — un Gans espagnol, inclinant déjà au catholicisme pur, y touchant par l’esprit et par le cœur, et demandant à cette doctrine tout ce qu’elle a de fécond pour expliquer le problème de la guerre avec une hauteur qui va rejoindre de Maistre. Les Lettres de Paris sont comme des conversations éloquentes où l’auteur seul a la parole, et fait revivre les hommes et les idées sous un jour original. Ce philosophe politique est un analyste des plus pénétrans, un peintre de portraits qui atteint parfois à un étrange relief. Comment croyez-vous qu’il caractérise M. de Lamartine dès 1842 ? « Espèce de conservateur radical, dit-il, poète pratique, dont la nature morale est le résultat de toutes les antithèses. » Si, en traçant la filiation des idées et des opinions, il rencontre, à l’origine du libéralisme de 1815, cette figure ingrate et énigmatique de M. de Talleyrand, il s’y arrête comme devant une des figures dominantes de notre temps, comme devant un de ces