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despotisme, tels sont les spectacles qui se révèlent à ce défenseur inspiré et ému de la tradition. C’est une pensée politique surtout qui suggère à Burke sa puissante aversion pour la révolution française, et qui est l’ame de cette éloquence où palpite l’instinct conservateur des sociétés. Vous verrez cette pensée de protestation aller en se transformant dans d’autres intelligences et émaner d’une inspiration religieuse.

Suivez, en effet, dans son cours, cette invincible révolution : tandis qu’elle se déroule à travers les institutions en ruines, le sang répandu, les autels renversés, comme un drame de pitié et de terreur, tandis qu’elle se précipite, épuisée, vers les corruptions du directoire, — dans un petit pays limitrophe, non plus en Angleterre, mais en Savoie et au bruit de l’invasion française, se forme et mûrit un autre de ces esprits qui, de la hauteur d’un dogme inflexible, prononcent avec puissance sur le principe révolutionnaire : c’est Joseph De Maistre. Les Considérations sur la France éclatent en 1796. De Maistre n’hésite pas : cette révolution qui fait ce qu’elle peut pour s’affermir, qui veut se faire habile après avoir été sanglante, et reste comme une impénétrable énigme, il la proclame radicalement mauvaise ; il lui jette cette qualification de satanique, et remonte jusqu’à la perception des plans divins dont il pressent la réalisation dans les crises contemporaines. Sa pensée remue avec une hardiesse familière ces redoutables problèmes de la destinée, de l’expiation, de la douleur, de l’effusion du sang humain, que les révolutions semblent rendre plus palpables et plus saisissans. Il y a dans les Considérations une sorte de sérénité immuable dans la rigueur des vues, une sorte d’impartialité d’un ordre supérieur qui s’irrite moins qu’elle ne juge, assiste sans surprise aux catastrophes qui se succèdent, et a des momens d’ironie pour cette œuvre aveugle et terrible où l’homme se croit souverain, et n’est qu’un instrument ou un jouet. Intelligence éclairée par la foi, dominée par l’idéal religieux, ce que De Maistre interroge, ce n’est point tel acte isolé, tel incident secondaire, telle date obscurcie par quelque date nouvelle : ce sont les principes générateurs, c’est l’ensemble et l’enchaînement nécessaire des choses, ce sont ces caractères de feu qui ne se manifestent que dans les époques extraordinaires. Et ne croyez pas que, cette première tempête apaisée, une apparence d’ordre restauré en Europe soit un gage suffisant pour cette pensée absolue et ardente. Le fait matériel est sauf à ses yeux, le fait moral ne l’est pas ; la réalité anarchique a disparu, le souffle orageux flotte dans l’air et imprègne les ames. De Maistre laisse tomber, dans un épanchement intime, en 1818, ces étranges paroles : « La révolution est bien plus terrible que du temps de Robespierre ; en s’élevant, elle s’est raffinée. La différence est du mercure au sublimé corrosif. Je ne vous dis rien de l’horrible corruption des esprits… Le mai est tel qu’il annonce évidemment une explosion