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qui se traduit en éloquence enflammée et à demi prophétique ; ils nourrissent secrètement un religieux instinct de la moralité humaine sans cela, ils se rangeraient à cette loi du succès où tant d’ames molles se rangent. Les prendrez-vous pour des mystiques ? Ce sont du moins des mystiques qui touchent aux plus palpitantes réalités et les analysent avec une sagacité cruelle. Il y a en eux quelque chose d’entier, de sincèrement passionné, et c’est ce qui explique comment ils sont volontiers absolus dans leurs jugemens. Ce n’est pas dans le foyer le plus ardent d’une révolution que ces esprits se produisent parfois, c’est au dehors, dans des conditions plus indépendantes, assez près pour assister en témoins émus à ces puissans phénomènes, assez loin pour pouvoir en mieux dégager le sens général. Tandis que nous luttons avec des incidens, tandis que nous nous épuisons dans la tactique, dans des expédiens sans doute nécessaires, ils remettent sous nos yeux les grands côtés, la signification universelle, la mystérieuse et inexorable logique de ces mouvemens qui nous entraînent. C’est le propre, en particulier, de la révolution française considérée comme l’expression de la civilisation moderne dans ses crises, dans ses ambitions avortées, dans ses laborieuses incertitudes, de rencontrer, à chacune de ses phases, en Europe, quelques-unes de ces vigoureuses intelligences destinées à en mesurer la profondeur, à lui jeter, comme un défi, l’éclat provoquant de leurs contestations, la hardiesse originale de leurs conjectures.

Un des plus éloquens de ces contradicteurs des révolutions triomphantes, n’est-ce point Edmund Burke, l’auteur du discours du 9 février 1790, des Réflexions sur la Révolution française, — Burke, que l’aube même de 89 n’enivra pas, et qui voyait dans ces premières journées poindre le 2 septembre et le 21 janvier ? Il y a une sorte d’héroïsme moral dans ce mâle et fougueux génie qui brave l’entraînement : universel et dont la voix retentit au seuil de cette orageuse époque. De sa solitude de Beaconsfield, il suit d’un regard passionné la marche de ce mouvement confus où ce n’est plus la France seule qui est intéressée, mais l’Europe entière, « et peut-être plus que l’Europe, » dit-il. Il a des traits prophétiques pour peindre ces tribuns dont la liberté n’est point libérale, selon son langage, dont le savoir n’est qu’une présomptueuse ignorance, dont l’humanité n’est qu’une brutalité sauvage. Injurieux, violent, injuste parfois, ce que Burke sent merveilleusement, c’est ce qu’il y a de décisif dans cette crise pour le caractère national de notre pays, qui porte en lui désormais un germe de dissolution dans l’élément révolutionnaire. La clairvoyance d’une conviction exaltée lui montre, à travers les voiles de l’avenir, les fatalités près de naître, la France passant « par cette variété de situations inconnues dont parle le poète, et, dans ses métamorphoses, purifiée par le sang et le feu. » Excès, fureurs, catastrophes finales, absorption inévitable dans un vaste