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VOYAGE ARCHÉOLOGIQUE EN PERSE.


ceux qui l’accompagnaient, malgré les cris des femmes à qui il appartenait, je le fis conduire à mon camp. J’espérais, en gardant cet otage d’une nouvelle espèce, que, pour le ravoir, on me livrerait le coupable. Malheureusement j’avais compté sans les femmes, qui n’avaient point voulu s’en séparer, et qui m’assourdissaient de leurs plaintes et de leurs lamentations, auxquelles je ne comprenais rien. Ces plaintes étaient très probablement entrecoupées de mille malédictions et d’injures d’autant plus grossières qu’elles étaient pour moi inintelligibles. Le chameau poussait des mugissemens désespérés à la vue de ses camarades qui s’éloignaient. Au bout d’une heure, ma colère s’était calmée, et ce concert assourdissant devenait de plus en plus intolérable. Aussi me décidai-je à rendre le pauvre animal, afin de ne plus l’entendre beugler et soutenir de sa basse les cris aigus des femmes. J’avais d’ailleurs l’espoir d’obtenir, par un moyen plus sûr, une réparation directe de la part du chef de la tribu. Je pris le parti de lui envoyer notre goulâm, avec l’ordre d’insister pour qu’il fît, de manière ou d’autre, amende honorable. Notre courrier revint en effet le lendemain, porteur des respectueuses excuses du chef, qui s’engageait à punir le coupable. Je dus me contenter de cette promesse, ou plutôt de cette apparence de satisfaction.

Ce petit épisode détourna un moment ma pensée des ruines que j’étais venu visiter, pour la reporter sur les dangers qui menacent le voyageur français dans un pays où la France n’a aucun représentant ; mais ce ne fut là qu’une distraction passagère. Mon attention se concentra bientôt de nouveau sur les admirables monumens dont je n’avais encore examiné qu’un groupe, et dont je voulais étudier l’ensemble.

Eugène Flandin.