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VOYAGE ARCHÉOLOGIQUE EN PERSE.


À gauche, la vue se perd dans l’immensité du désert de Kermân, qui se confond avec le ciel dans une vapeur condensée et brûlante. À droite, l’œil cherche en vain quelque aspect qui le charme ; il se détourne avec tristesse des âpres montagnes dans les gorges desquelles se cachent ces voleurs intrépides qui, sous le nom redouté de Bactyaris, sont la terreur de ces contrées et des caravanes qui les traversent.

Sur cette route inhospitalière, le voyageur doit, par prévoyance, tout porter avec lui, jusqu’à son eau, car pendant et après l’été les ruisseaux sont taris ; une croûte blanche et salée en couvre le lit ; les citernes n’offrent plus qu’un fond de vase desséchée et puante. Jamais je n’oublierai une de ces journées de fatigue et d’accablement où nous avions marché dix heures sous les rayons ardens d’un soleil vertical, sans avoir trouvé d’ombre, sans avoir rencontré une goutte d’eau. Enfin nous distinguons, dans la vapeur tremblante qui vacille à la surface de la terre, le caravansérail où nous devons faire halte et reprendre des forces. Épuisés de fatigue et de faim, haletans de soif, tous, hommes et chevaux, nous reprenons courage ; ces murs, aperçus au-dessus des ondulations de la plaine, sont le terme de nos souffrances. Nous allons y trouver de l’eau, quelques alimens. Les chevaux hennissent, pressent le pas ; nous arrivons, nous entrons dans le caravansérail, nous courons à la citerne… elle est à sec ; quelques vers immondes se traînent en se tordant sur un reste de vase en putréfaction. Ces horribles insectes eux-mêmes n’y trouvent plus la vie ; ils ne s’y peuvent défendre contre la chaleur qui les tue. Découragés, nous nous détournons de ce spectacle hideux. À défaut d’eau, nous espérions du moins trouver quelques alimens. Nous cherchons le gardien du lieu, personne ne répond à notre appel sous les voûtes silencieuses du caravansérail. Ni eau, ni pain ! et le soleil était encore bien haut dans le ciel. Que faire ? Bien qu’épuisés de fatigue, il fallut prendre notre fusil et nous mettre en chasse. La Providence eut pitié de nous, et envoya sur notre passage quelques perdrix qui, rôties à un feu d’herbes sèches, nous fournirent un maigre repas.

Nous étions pourtant dans un caravansérail, dans un de ces asiles élevés par les soins d’un gouvernement philanthropique, ou par le vœu religieux de quelque dévot personnage. Aujourd’hui quel abri offrent-ils ? Délabrés, à moitié ruinés, souvent sans portes, sans gardien, ces lieux sont à tout le monde et à personne. Tous y entrent et y dorment, aucun ne s’en occupe et n’en relève les décombres. Entre qui veut, sans rien devoir pour son écot, mais sans rien laisser pour l’entretien de ces murs abandonnés. Aussi, chose incroyable, ces refuges si précieux dans un pays où ne se trouve ni auberge, ni maison amie pour le passant ; l’insouciance du gouvernement les laisse tomber en ruines ; les débris de leurs murs amassés par le temps, le fumier amoncelé des