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portraits dénaturés, leurs secrètes douleurs dévoilées, leurs faiblesses malignement commentées ? Parmi tant de révélations que M. de Chateaubriand nous fait sur le compte de ce parti monarchique au sein duquel il a vécu, il en est que nous ne savions pas et que nous ne croirons jamais ; il en est que nous savions et que nous n’avions nul besoin d’entendre. Nous ne croirons jamais, par exemple, que, parmi tant de serviteurs du vieux roi, qui, en 1830, se jetèrent entre lui et la fureur populaire, il ne se soit pas trouvé un homme de cœur. Il ne dépendra pas de M. de Chateaubriand d’altérer la réputation de loyauté attachée à de certains noms ; il ne réussira pas, après vingt ans, à noircir la bonne foi de ce noble médiateur qui accourut de Saint-Cloud au péril de sa vie, et dont, au milieu de l’effervescence d’un peuple, la parole, si elle ne fut pas écoutée par tout le monde, ne fut mise en doute par personne. En revanche, pense-t-il nous avoir rien appris lorsqu’il nous fait voir en détail ce que tout le monde sait, à savoir que, quand les rois ont le malheur d’avoir des cours qui se mêlent de leurs affaires, l’exil même ne les préserve pas des intrigues ? Mais, en vérité, va-t-on en pèlerinage chez les rois détrônés pour raconter ensuite en détail les petites misères qui les entourent ? Ce voyage solitaire en Bohême, ce journal maussade tenu dans une auberge, voilà peut-être la lecture la plus mélancolique que ces dix volumes présentent. On y lit jusqu’au fond de cette ame dévastée. L’orgueil courbé par l’âge erre sur ces ruines, où passent aussi par momens des images presque inconvenantes, de passagères, d’impuissantes lubies de jeune homme. Puis nous entrons dans ce vieux palais, et les sentimens qu’y porte l’auteur nous paraissent aussi froids que les murs démeublés qu’il dépeint. C’est un prince qui commanda des armées françaises, qui espéra le trône, et dont la douleur muette est tournée en imbécillité ridicule. C’est un vieux serviteur à qui une congestion religieuse embarrasse le cerveau ; c’en est un autre qui est un grand seigneur avorté, un amateur des arts sans imagination, un libertin à la glace, qui a enterré la monarchie à Hartwell, à Gand, à Édimbourg, à Prague, toujours veillant à la dépouille des puissans défunts, comme ces paysans des côtes qui recueillent les objets naufragés que la mer rejette sur ses bords : voilà ce qu’un mourant écrivit sur les compagnons fidèles du malheur. Dans la ronde fantasque inventée par l’artiste sardonique du moyen-âge, la mort se jouant de l’exil n’avait pas encore figuré !

Que devait faire maintenant devant ce singulier monument une critique sincèrement admiratrice du talent, mais plus respectueuse encore pour la morale ? Sera-t-il dit que ce calcul aura réussi ? Sera-t-il dit qu’après s’être livré en paix à ces solitaires épanchemens de fiel, il aura préservé jusqu’à sa mémoire de la revendication de la vérité ? Cette idée est insupportable. M. de Chateaubriand n’est plus. Son