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bravoure et de l’adresse. Ils n’ont pas seulement le courage de l’obéissance, ils ont aussi le courage de l’action. De ce côté, la guerre d’Afrique a quelque chose de primitif, elle revient à la guerre d’Homère ; elle a encore bien d’autres côtés de ressemblance, si nous voulions nous laisser aller à raconter les récits de nos officiers, ou si nous espérions que sur notre parole nos officiers se mettraient à lire Homère pour retrouver les bulletins de leurs batailles. Est-ce une décadence que ce retour à la guerre héroïque ? Loin de là : nous serions tentés de croire que, dans l’ère précédente, l’homme dans la guerre avait trop disparu pour faire place au soldat. Avec la guerre d’Afrique, l’homme reprend son rang. La guerre européenne faisait quelquefois des hommes incomparables, comme Napoléon : c’étaient des merveilles qui étourdissent l’humanité et qui la déroutent ; mais ce genre de guerre ne faisait que quelques grands hommes. La guerre d’Afrique fait beaucoup de bons soldats, beaucoup d’excellens officiers et plusieurs généraux d’élite ; la guerre d’Afrique est une guerre profondément démocratique dans le bon sens du mot : elle sert le grand nombre ; c’est la loi de tout ce.qui se fait de notre temps ; mais elle le sert en le rangeant par étages, selon la capacité qu’elle met en lumière par beaucoup de bonnes occasions ; elle le sert en créant une hiérarchie fondée sur le mérite et les efforts de chacun : c’est la bonne hiérarchie.

Voulez-vous une preuve bien vulgaire au premier coup d’œil et bien significative, selon nous, de cette industrie et de cette énergie personnelles que cette guerre développe chez les soldats ? Écoutez ce que dit le général Yusuf : « En 1845, deux voltigeurs du 13e léger, appartenant à ma colonne, s’étaient égarés dans une marche de nuit. Ne les ayant point revus pendant la durée de mes opérations, je les croyais perdus, lorsque, à ma grande joie et à mon grand étonnement, je les trouvai à ma rentrée à Tiaret. Voici ce que m’apprit l’un d’eux. - « Après avoir inutilement, ainsi que mon camarade, cherché les traces de la colonne, nous nous décidâmes à marcher la nuit en marchant vers le nord et nous guidant sur l’étoile polaire. Le jour, dans la crainte de rencontrer des Arabes, nous nous placions sur le mamelon le plus élevé que nous pussions trouver, et tour à tour nous faisions faction, pour faire croire à la présence d’une colonne. Nous avons souvent remarqué des Arabes qui, venant dans notre direction, se sauvaient dès qu’ils nous apercevaient, pensant probablement que la colonne était de l’autre côté de notre mamelon, et nous devons notre existence à cette ruse. Enfin, après trois nuits de marches pénibles, nous avons rencontré Tiaret où nous vous avons attendu. » Je citai ces deux bons soldats comme exemple aux hommes de ma colonne, leur recommandant d’agir comme eux à l’occasion. » Et le général Yusuf demande à ses officiers d’habituer le soldat à reconnaître l’étoile polaire. Le vieil Atlas, qui habitait autrefois sur cette côte de l’Afrique, n’était aussi, nous dit-on, qu’un habile conducteur de caravanes, grace à la connaissance qu’il avait des astres. La mythologie en a fait un demi-dieu ; mais qu’importe que ce qui était autrefois une légende ou un chapitre de la mythologie soit aujourd’hui un bulletin ou un ordre du jour, pourvu que l’homme ait l’occasion de montrer ce qu’il vaut et ce qu’il peut ! C’est là le grand avantage de la guerre d’Afrique.

Nous trouvons dans la brochure du général Yusuf de curieux renseignemens sur l’institution des bureaux arabes, sur les services éminens qu’ils ont rendus