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Il y a une autre raison qui doit préserver les amis de la royauté de 1830 de tout dissentiment et de toute discorde, c’est qu’avant de se disputer dans l’intérieur du parti, ils ont une grande œuvre à accomplir en commun, la conservation de la société française. Les gouvernemens sont une chose importante et méritent bien qu’on se dispute sur la forme et la marche qu’ils doivent avoir, car la forme et la marche des gouvernemens importent essentiellement au salut des sociétés ; mais il est des jours et des momens où, quand les gouvernemens sont tombés, que leur chute a découvert les fondemens de la société et les a ébranlés, le premier devoir des citoyens n’est pas de sonner aux gouvernemens, c’est-à-dire à la toiture de l’édifice, mais à la société, c’est-à-dire aux fondemens mêmes du bâtiment. Nous sommes dans un de ces tristes momens, et la question sociale doit l’emporter sur la question politique. C’est ainsi que le parti orléaniste a agi depuis 1848, et c’est ainsi qu’il doit continuer d’agir ; laissant de côté toutes les questions de personnes et ne songeant qu’à préserver la société de l’invasion permanente des barbares. En continuant de suivre cette conduite, il lui sera facile de rester uni dans son sein, et de rester uni avec les autres grandes portions du parti modéré. Tout ce qu’il fera dans l’intérêt social aidera à sa propre concorde et à sa bonne intelligence avec ses alliés. Tout ce qu’il fera en dehors de cet intérêt social commencera sa scission.

Le mot de la reine montre que le voyage du président, si on le regarde du côté du cérémonial, ressemble à tous les voyages des grands de la terre ; mais on doit aussi le considérer du côté politique, et sous ce point de vue il est sérieux et important : il l’est d’autant plus qu’il coïncide avec la manifestation que les conseils-généraux font pour la révision de la constitution. Disons franchement l’idée, que nous nous faisons des conséquences de ces deux faits : le voyage du président d’une part, et la manifestation des conseils-généraux de l’autre.

Le prince Louis-Napoléon a deux qualités que nous aimons à reconnaître et à louer, parce que ce sont des qualités de gouvernement : il a de la franchise et de la mesure. Il a de la franchise ; ainsi il ne dissimule pas que la constitution de 1848 a été faite contre lui. Quand les populations lui demandent des ponts, des routes, des canaux, des chemins de fer, le prince répond fort pertinemment aux demandeurs qu’il faut pour tous ces grands travaux de l’ordre dans le pays, de la stabilité dans le pouvoir, et que c’est aux populations elles- mêmes à se procurer ces avantages. — Ne me demandez pas, dit-il, de faire ce que vous pouvez et devez seuls faire vous-mêmes. — Le prince a raison : crier vive la république ! dans un certain sens et demander en même temps des canaux, des ports et des chemins de fer, c’est crier à la fois non et oui. Nous louons donc la franchise du président : il n’a pas de respect hypocrite pour la constitution de 1848. Il sait que le but de cette constitution, c’est l’instabilité du pouvoir et par conséquent l’anarchie, et il le dit aussi nettement qu’il peut le dire. Si nous louons la franchise du prince sur ce point, nous ne louons pas moins sa mesure et sa : réserve, et ici qu’on nous entende bien : nous ne parlons pas seulement de la réserve des paroles ; la réserve des paroles est une bienséance dans un prince, une figure de rhétorique dans un orateur, un moyen politique dans un homme d’état ; nous laissons tout cela de côté : ce