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exigibles. On ne peut pas se servir des ressources qui proviennent de l’un pour couvrir l’autre ; les dépôts fournissent dans quelques cas une réserve temporaire ; y puiser une réserve permanente et considérable, ce serait courir au-devant d’un désastre certain. J’invoquerai ici l’exemple de la Banque de France elle-même. Qu’a-t-elle fait en 1846-47, au moment où la crise des subsistances amenait l’exportation du numéraire ? S’est-elle contentée de la réserve accidentelle que lui fournissaient les comptes courans ? A-t-elle persisté à ne pas se servir de son capital pour composer ou pour grossir l’encaisse métallique ? La Banque avait commis alors la haute imprudence dans laquelle, malgré cette leçon, elle est retombée depuis, d’immobiliser la plus grande partie de son capital en rentes. Il fallait d’abord emprunter Londres, sur dépôt de rentes, un million sterling, puis cette somme ne comblant pas les vides, vendre des rentes à l’empereur de Russie pour 50 millions de francs. À ces conditions, et non sans traîner le pied, la Banque se tira d’affaire ; mais elle dut faire ressource de tout, et, pour peu que la crise se fût prolongée, elle se serait vue dans la nécessité d’adresser à ses actionnaires l’appel devant lequel ses directeurs reculent aujourd’hui. Voilà une expérience décisive apparemment contre la théorie que l’on m’oppose. L’histoire de la banque d’Angleterre abonde en exemples tout aussi concluans. N’oublions pas que le gouvernement russe, dans un pays que l’on croit barbare, tient en réserve, sous la clé et derrière le canon d’une forteresse, un trésor de 250 a 300 millions en métaux précieux ; trésor qui sert de gage et d’appui au papier-monnaie qui forme la circulation de l’empire. La Banque de France, en retour de son privilège, ne nous doit-elle pas au moins les mêmes garanties ?

Cependant ce qu’il y a de plus curieux dans ce débat, c’est le prétexte dont se couvrent nos contradicteurs. Ils veulent que les espèces qui servent à rembourser les billets appartiennent au public et non pas à la Banque, attendu, selon eux, que le capital de la Banque ne doit pas rester improductif. Je pourrais répondre qu’un capital n’est pas improductif, quand il permet de créer un capital plus considérable qui est livré ensuite, moyennant un intérêt, à l’industrie et au commerce. Le revenu de la Banque provient de l’emploi qu’elle fait de ses billets : il n’est pas nécessaire qu’elle bénéficie encore sur sa réserve en métaux précieux ; mais je demanderai de quel droit, pour ne pas laisser une parcelle de son capital improductive, la Banque condamnerait à la stérilité les capitaux qui lui sont confiés à titre de dépôts ? Les banquiers donnent, à certaines conditions, un intérêt de l’argent qu’on dépose en compte courant dans leurs caisses. La Banque, pour se défendre de les imiter, allègue que le retrait des sommes versées est incessamment exigible. De deux choses l’une cependant : ou la Banque