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une discussion politique que je veux engager. Il est d’ailleurs par le monde des grandeurs tombées qui, dans leur retraite pleine de dignité, ne pardonneraient pas à un défenseur maladroit d’accepter une discussion sur leur compte engagée dans un tel langage. Le moment n’est pas venu où l’impartiale postérité dira que la lourde responsabilité des révolutions pèse sur ceux qui les provoquent et non pas sur ceux qui les terminent. N’anticipons pas sur son jugement ; mais, dans ces journées de révolution, où le sol de Paris tremblait et brûlait sous ses pas, où M. de Chateaubriand eut le malheur, à ce qu’il nous dit, de ne rencontrer parmi ses amis que des parjures ou des poltrons, tandis que chacun sauvait l’ordre social comme il pouvait, les uns en essayant de conserver un vieux trône à un jeune roi, les autres de fonder une monarchie nouvelle, M. de Chateaubriand eut, lui, quelque part, sur les quais, une aventure populaire qui paraît lui avoir laissé de grands souvenirs. Il fut porté en triomphe à la chambre des pairs par une cinquantaine d’étudians, qui répétèrent bénévolement tous les cris qu’il leur fit pousser. Ceux qui l’ont vu arriver à la tête de ce cortège disent qu’il était singulièrement exalté, et qu’il lui échappa de dire : « Eh ! qu’on détruise la monarchie ! En huit jours, avec la liberté de la presse, je l’aurai rétablie. » Il eut évidemment, en ce moment, quelque pressentiment du rôle de paratonnerre. Il lui vint en tête de mettre à flot quelque brochure sur la vague populaire. Cette idée évidemment ne l’a plus quitté, et les espérances d’un avenir républicain percent jusque dans sa correspondance avec Mme la duchesse de Berri. Peu s’en faut que pendant sa détention préventive dans le salon de M. Gisquet, qu’il appelle un cachot, il ne se crût un demi-martyr de la société nouvelle et du républicanisme. Il paraît très préoccupé que la jeune France ne le prenne pas pour un rabâcheur de panache blanc et de lieux communs sur Henri IV. Il ne veut pas qu’on le croie capable d’un attendrissement de nourrice transmis de maillot en maillot depuis le berceau de Henri IV jusqu’à celui du jeune Henri. Avouez que nous voilà loin de la Vie et de la mort du duc de Berri. En fait de palinodie, nous avons vu bien mieux, je le sais ; mais il y a quelque chose de tout particulier chez M. de Chateaubriand : c’est un mélange d’humeur et d’adulation, c’est une tentative de flatter à la fois et de maudire la société nouvelle, de s’associer à ses espérances plus ou moins chimériques de régénération en continuant à traiter la révolution française de décadence, de greffer en soi le républicain sans donner tort au royaliste. Le but de ces alternatives est évident : c’est un effort pour concilier le mérite de la consistance politique avec celui de ces intelligences souples qui savent se prêter à la marche de l’opinion populaire ; mais le résultat suggère une comparaison un peu vulgaire que nous ne hasardons que parce que M. de Chateaubriand s’en est permis tant qui lui ressemblent.