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d’emprunter elle-même près de 100 millions aux sommes qu’on lui dépose en compte courant et de contracter ainsi une dette incessamment exigible pour aller chercher ensuite un placement dont le terme est fort éloigné. Il n’y a pas d’opération moins avouable en finance ; les directeurs d’un établissement qui en ferait souvent de pareilles mériteraient d’être mis aux Petites-Maisons.

On comprend que, sous le régime du cours forcé et sous le coup d’une nécessité impérieuse, les banques subviennent aux besoins du trésor en prêtant non-seulement leur capital propre, mais une partie de celui que représente leur circulation. Dans de telles circonstances, les établissemens de crédit battent monnaie en quelque sorte au profit de l’état. Comme l’état leur communique alors l’autorité de la loi, il a bien le droit de participer aux bénéfices qu’il leur procure. Il les charge donc de lever pour son compte un emprunt auquel contribuent tous ceux qui reçoivent les billets jetés dans la circulation, mais cette opération cessé d’être possible pour un établissement de crédit, le jour où ses billets redeviennent remboursables. Le capital des banques est alors le seul fonds auquel elles puissent emprunter les sommes qui alimentent la dette flottante. Comment puiseraient-elles dans le fonds commun des dépôts, dont chaque déposant a le droit de retirer sa part à toute heure, sans s’exposer à une banqueroute ou à un acte de spoliation ?

On m’oppose l’exemple de la banque d’Angleterre. Il est très vrai que cet établissement, pendant la guerre et tant qu’avait duré la suspension des paiemens, avait prêté à l’Échiquier un concours à peur près sans limites ; mais toutes les sommes empruntées qui excédaient le capital de la banque furent restituées avant la reprise des paiemens en espèces. Sans adopter exclusivement les principes sur lesquels repose la constitution de la banque d’Angleterre, j’ajouterai qu’il n’est pas exact de dire, comme on l’a prétendu, que le capital de ce grand établissement soit absorbé encore aujourd’hui par les prêts qu’il a faits à l’état. La dette du gouvernement anglais figure en effet dans les comptes de la banque pour 11,015,100 livres sterling (environ 278 millions de francs) ; mais le capital de la banque se compose de 14,553,000 livres sterling, qui appartiennent encore aux actionnaires, et d’une réserve de 3,149,011 liv. ster., qui est également leur propriété, au total, 17,702,011 liv. ster. (446,975,778 fr.). Ainsi, loin d’avoir prêté son capital à l’état, la banque d’Angleterre demeura libre de convertir en espèces ou en lingots environ 160 millions de francs, une partie de ce capital qui excède de beaucoup le capital entier de la Banque de France[1].

  1. Ces chiffres sont empruntés au compte publié par la banque d’Angleterre le 13 juillet 1850.