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à M. de Chateaubriand sur cet art de tourner, pour ainsi dire, sur pivot, et de dire toujours la même chose en défense des opinions les plus contraires ; mais les gens de bonne foi ne sont pas dupes de ces artifices de polémique. Ce qui importe, ce ne sont pas les moyens, c’est l’esprit général, ce sont les sentimens dominans d’une opposition, c’est surtout le ton qu’elle affecte. Qu’on reconnaisse, si l’on peut, l’ami passionné de la monarchie légitime, je ne dis pas seulement dans les derniers pamphlets de M. de Chateaubriand, mais même dans les chapitres de ses mémoires où de sang-froid, à tête reposée, il raconte sa dernière campagne politique. Un ami, même affligé, résiste, mais n’offense pas. À l’âcre saveur du langage, on reconnaît non pas l’amitié contristée, mais la personnalité outrée que la vengeance même n’a pu calmer. Relisez seulement son discours à la chambre des pairs le lendemain de la révolution de juillet : il a bien eu le courage de le réimprimer ! Je m’adresse au cœur des gens de bien ; ils savent s’il est quelque chose de plus déchirant et de plus délicat au monde que de retrouver dans le malheur un ancien ami qui nous a blessé. C’est la pierre de touche des sentimens généreux. Une parole, un geste, une inflexion de voix, tout a du prix dans ces momens solennels. Que dire d’un confident, d’un serviteur, qui n’a pas trouvé d’autre adieu à envoyer sur la trace d’une famille exilée que de lui dire qu’elle est chassée à coups de fourche par l’indignation publique ? Que cette rhétorique est donc bien placée dans sa bouche ! En fait de phrases, qu’il faut avoir le cœur à l’ouvrage pour qu’il ne se fende pas en les brodant sur un tel thème ! Il renonçait pour cette famille à sa dignité, dira-t-on, dans ce moment-là. De grace, laissons-le se draper dans ce contraste auquel il a sans doute assez songé en descendant de la tribune. Je ne sais comment les choses se passent entre souverains et sujets ; mais, entre gens du monde, un ami qui offre un sacrifice sur ce ton-là s’expose fort à ce qu’on lui jette sa bourse et ses dons par le milieu du visage.

Ce discours, le dernier qu’il ait prononcé, puisqu’il y donnait sa démission de pair de France, est aussi le chef-d’œuvre du genre. Placé au confluent de deux gouvernemens, on ne sait qui y est le plus outragé du pouvoir naissant ou du pouvoir tombé. C’est là aussi qu’on voit commencer certaines flatteries pour la république, certaines douceurs à l’adresse de la démocratie future, qui couronnent étrangement le récit de cette vie monarchique. Je passe, et pour toutes sortes de raisons dont la plus grande est une insurmontable répugnance, les trivialités que M. de Chateaubriand n’a pas dédaignées dans sa narration plus qu’infidèle de la révolution de juillet. Je ne m’étonne pas qu’un homme de parti ait pu les écrire ; je m’étonne qu’un homme de goût ait pu les relire. Mais c’est une étude morale que je fais et non