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lui importaient peu, et l’ambition des partis lui répugnait. Ce qu’il voyait se passer à cette époque ne répondait nullement à ses rêves. Personne ne songeait au communisme ; parmi les jacobins tout au plus, on voulait le partage des biens, c’est-à-dire une autre forme de la propriété, — la propriété morcelée et populaire. — Quant au panthéisme, qui donc y pensait, sinon un petit nombre d’illuminés ?… On était généralement athée. La fête donnée par Robespierre à l’Etre suprême lui parut une tendance bien faible vers une rénovation philosophique ; toutefois il eut quelque regret à voir Robespierre renversé par des gens qui ne le valaient pas. À partir de ce moment, son homme fut Bonaparte. Dans les écrits mystiques des derniers jours de sa vie, il le représente comme un esprit médiateur, issu de la planète de Syrius, et qui a mission de sauver la France. Pour comprendre cette supposition étrange, il faut se faire une idée du dernier livre de Restif, intitulé Lettres du Tombeau ou les Posthumes, qui parut sous le nom de Cazotte.

Les deux premiers volumes de cet ouvrage furent inspirés par une idée charmante de la comtesse de Beauharnais et faits en partie par Cazotte, ainsi que Restif le reconnaît dans ses Mémoires. — Un jeune homme nommé Fontlèthe est amoureux de la femme d’un magistrat ce personnage est fort âgé, et la femme, victime d’un mariage de convenance, promet à Fontlèthe qu’il sera éventuellement son second époux. Le jeune homme se fatigue d’attendre ; dans un moment de découragement, il renonce à la vie et prend de l’opium. En ce moment, on lui apporte un billet de faire-part qui l’instruit de la mort du magistrat. Désespéré doublement, il court chez son médecin, qui lui donne un contre-poison. Il se croit sauvé : il épouse bientôt celle qu’il aimait ; mais, quelques jours après le mariage, une langueur inconnue le saisit. Il consulte la faculté. C’est le poison mal combattu qui cause son mal. On lui annonce, sur ses insistances réitérées, qu’il n’a plus guère qu’un an à vivre. La mort l’épouvante moins que la pensée de quitter une femme jeune, honnête, il est vrai, mais qui ne peut manquer de se remarier après lui. Il conçoit alors un projet singulier, c’est de s’éloigner de sa femme et de faire en sorte qu’elle ignore le moment où il mourra. Il demande au ministre une mission pour l’Italie et part pour Florence, sous prétexte de services importans à rendre à l’état. Il prolonge son séjour sous divers motifs, et, dans l’année qui lui reste, écrit une série de lettres qui devront être adressées à sa femme de différens points de la terre et à diverses époques, comme si l’état l’eût envoyé de pays en pays sans qu’il pût refuser ses services. Ces lettres, confiées à des amis sûrs, se succèdent, en effet, pendant plusieurs années, apportant la consolation à cette veuve sans le savoir. Le correspondant posthume n’a eu qu’une pensée,