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Si un homme méprisé, comme ce faquin de Robespierre, venait à acquérir quelque prépondérance, vous le verriez devenir grave, couvert, atroce… Moi seul, je pourrais l’arrêter… »

Peu de jours après cette conversation, Mirabeau mourut. « Je ne pus entrer, dit l’écrivain, pendant sa dernière maladie, parce que je n’étais pas connu de ses alentours, surtout du sieur Cabanis… Ah ! si Préval avait vécu, Mirabeau vivrait encore ! » Préval était un médecin qui avait sauvé Restif de plusieurs maladies dangereuses.

Restif attribue à la mort de Mirabeau la chute suprême de la monarchie. C’est en se voyant privés de ce dernier appui, appui intéressé sans doute, puisque Mirabeau comptait devenir une sorte de maire du palais, que Louis XVI et Marie-Antoinette se décidèrent au voyage de Varennes… « Cet homme était, dit-il ailleurs, le dernier espoir de la patrie, que ses vices mêmes eussent sauvée… tandis que les vertus des sots, tels que Chamillard et d’Ormesson, l’ont perdue.. » Et, revenant sur ses propres misères, causées par la dépréciation des assignats, qui lui faisait perdre ses 74,000 fr. d’économies, il se rappelle avec amertume que Mirabeau lui avait dit : « Il faudrait déchirer à coups de nerf de bœuf tout marchand d’argent, et faire brûler vif ou piler dans un mortier tout dépréciateur des assignats. »


VI. – LA VIEILLESSE DU ROMANCIER.

À cette époque, Restif de La Bretone passait une partie de ses journées au Palais Royal où s’était établie une sorte de bourse qui devenait le thermomètre de la valeur des assignats. Tous les jours il voyait sa fortune fondre et espérait en vain un retour favorable : — les derniers volumes des Nuits de Paris sont pleins d’imprécations contre les agioteurs qui faisaient monter l’or à des prix fabuleux et anéantissaient les richesses en papier de la république ; — puis il allait passer ses soirées au Caveau, car ses ressources ne lui permettaient plus le café Manoury. Lorsque, par une réaction rare, l’assignat avait haussé dans la journée, il emmenait quelques femmes de moyenne vertu, souper à la Grotte, flamande, où l’on se permettait encore quelques orgies à bon marché. Ses chagrins affaiblissaient parfois son esprit, toujours enthousiaste, et dans chaque jolie personne au pied fin et à la chaussure élégante il croyait retrouver une de ses filles, produit des bonnes fortunes si nombreuses de sa jeunesse. Il est probable qu’on abusait souvent de cette monomanie paternelle pour obtenir de lui des cadeaux ou des soupers.

Peu communicatif ou très prudent sur les matières politiques, il ne courut pas de dangers pendant l’époque de la terreur. Les hommes