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opposition, dirigées en sens directement contraire (c’est lui qui les désigne ainsi), comme un grand peintre a sa première et sa seconde manière. Ces oppositions coïncident avec les deux systèmes de gouvernement que la restauration a tour à tour employés et les deux seuls entre lesquels elle pût choisir. Placée entre deux partis ennemis qu’elle était tenue de concilier, entre deux ordres d’idées qu’elle avait pour tâche de faire vivre ensemble, elle n’avait guère d’autre alternative que de donner le pouvoir à l’un de ces deux partis, en le chargeant de se plier du mieux qu’il pourrait aux habitudes de l’autre. Il fallait abandonner l’autorité aux hommes de la révolution, en s’efforçant de les rendre monarchiques : ce fut le système que M. Decazes professa courageusement ; ou la concentrer tout entière entre les mains des hommes monarchiques par excellence, pour les engager à s’accommoder aux habitudes constitutionnelles ; ce fut le système que M. de Villèle pratiqua adroitement. M. de Chateaubriand y fut associé quelques jours. La France aurait beaucoup gagné, si l’un ou l’autre de ces systèmes avait rencontré en face de lui des adversaires moins impatiens de le renverser que soigneux de le contenir et de le ramener à ce juste point d’équilibre dont les gouvernemens au fond tendent toujours à se rapprocher. Tout gouvernement qui aurait duré dans l’enceinte de la charte l’aurait affermie ; tout ministère renversé au nom de la charte l’ébranlait au fond dans sa chute. Si M. de Chateaubriand avait été ce qu’il prétend, un monarchique libéral, son rôle eût été précisément celui de ce modérateur des oppositions, qui ne s’est jamais trouvé en France. C’est le rôle opposé qu’il a joué ; dans les deux sens, il a mis le feu aux inimitiés ; il a reculé les limites de la passion et de l’injure. Il a traité M. Decazes d’assassin et M. de Villèle de marchand d’ames et de consciences ; il a emprunté à ses opinions successives uniquement ce qui pouvait rendre son opposition plus dangereuse et plus poignante pour l’ennemi qu’il combattait. Ce fut lui qui, dans sa première opposition, enseigna au parti religieux et monarchique à emprunter la forme injurieuse, le langage et les habitudes de la presse radicale. Lisez le Conservateur ; c’est le ton de l’anarchie mis au service des principes de la monarchie de droit divin et de l’autorité catholique, douloureux mélange dont le brevet d’invention appartient à M. de Chateaubriand, mais qui n’a pas manqué d’imitateurs pendant dix-huit ans, et dont la révolution de février a eu le mérite de nous délivrer. En revanche, s’il y eut, comme on l’a beaucoup dit, une portion du parti libéral qui emprunta hypocritement le langage des institutions monarchiques pour arriver à les renverser, la seconde opposition de M. de Chateaubriand dut la servir à souhait. Ainsi il donna tour à tour à l’opinion monarchique les allures révolutionnaires, aux tendances révolutionnaires la consécration monarchique. Avec une naïveté sans pareille, il croit que