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comme un sofa, et le bord sur lequel on s’appuie est garni aussi. Les décorations sont en colonnades, avec des pots d’orangers entre les colonnes… »

Enfin Mme de Graffigny écrit le lendemain (huit heures du soir) : « Aujourd’hui comme hier, je sors des marionnettes, qui m’ont fait mourir de rire. On a joué l’Enfant prodigue. Voltaire disait qu’il en était jaloux. Le crois-tu ? Je trouve qu’il y a bien de l’esprit à Voltaire de rire de cela et de le trouver bon. J’étais auprès de lui aujourd’hui. Que cette place est délicieuse ! Nous en avons raisonné un peu philosophiquement, et nous nous sommes prouvé qu’il était très raisonnable d’en rire. Il faut avouer que tout devient bon avec les gens aimables. »

Presque à la même date, je trouve quelques lignes qui me frappent dans un post-scriptum ajoute par Mme Du Châtelet à une lettre de Voltaire adressée à d’Argental. Elle lui parle de tous les travaux entrepris par Voltaire, puis elle ajoute : « Sa santé demande peu de travail, et je fais mon possible pour l’empêcher de s’appliquer. » Cela ne nous donne-t-il pas l’explication du goût subit de Mme Du Châtelet pour la lanterne magique et les marionnettes ?

Quant au XIXe siècle, si sérieux et si raisonnable, comme on sait, il ne faut pas y chercher d’aussi frivoles amusemens. S’il arrive aujourd’hui par hasard que Polichinelle soit mandé dans un riche hôtel, ce n’est que pour une matinée où une soirée d’enfans ; mais des marionnettes comme celles de Mme la duchesse du Maine, de la Pélicier ou de Cirey, il n’y en plus d’exemples. On cite bien, sous l’empire quelques hauts fonctionnaires qui ont aimé ce divertissement, mais en plein air et de cet excellent chef d’administration, dont la bienveillance littéraire, approuvée de l’empereur, avait réservé quelques emplois dans ses bureaux aux débutans de la littérature et de la poésie. Ayant adressé un jour un avis cordial à un de ses plus inexacts protégés, le jeune homme avoua à l’indulgent administrateur que s’il s’attardait tous les matins, c’est qu’il était obligé de passer devant Polichinelle, et que le charme l’arrêtait. « Eh ! comment cela se fait-il ? s’écrie le directeur étonné, je ne vous y ai jamais rencontre. » Mais Français de Nantes (car c’est à lui qu’on attribue l’anecdote) a-t-il jamais songé à faire venir chez lui Polichinelle ? J’en doute. Autre temps, autres plaisirs. Il y aurait, d’ailleurs, inconvénient à inviter, par ce temps-ci, nos financiers, nos représentans du peuple, nos grands hommes de lettres, nos diplomates, à une soirée de marionnettes ; cela risquerait trop de ressembler à une épigramme.


CHARLES MAGNIN.