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le droit d’assister à ses réunions. C’est à propos de cet échange de bons procédés, dont les effets subsistent encore aujourd’hui, que Polichinelle se mit à gloser fort à contre-temps, et, qui pis est, sans beaucoup d’esprit ; mais les comédiens français et les acteurs des scènes secondaires se faisaient alors, comme nous l’avons vu, une guerre acharnée que le moindre incident ravivait.

Le goût des marionnettes persista long-temps dans la cour spirituelle de Sceaux. Quelques vers de Voltaire nous apprennent qu’en 1746 le comte d’Eu, grand-maître de l’artillerie, les y fit venir un soir et les dirigea lui-même avec succès. Voltaire, qui assistait à ce divertissement, prit à son tour la direction des pantins et improvisa ce compliment pour le comte d’Eu, au nom de Polichinelle :

Polichinelle, de grand cœur,
Prince, vous remercie.
En me faisant beaucoup d’honneur,
Vous faites mon envie.

Vous possédez tous les talens ;
Je n’ai qu’un caractère :
J’amuse pour quelques momens ;
Vous savez toujours plaire.

On sait que vous faites mouvoir
De plus belles machines ;
Vous fîtes sentir leur pouvoir
A Bruxelles, à Malines,

Les Anglais s’y virent traiter
En vrais polichinelles,
Et vous avez de quoi dompter
Les remparts et les belles[1]

La mode des marionnettes de société devint si générale au milieu du XVIIIe siècle, que nous voyons Bienfait annoncer dans les affiches de Paris « qu’il va en ville, en l’avertissant un jour devant[2]. » Alors Mlle Péticier, célèbre actrice de l’Opéra, faisait une pension à un directeur de marionnettes pour lui jouer deux parades par jour ; ses camarades la raillaient de cette fantaisie et l’accusaient de vouloir se donner par là des airs de duchesse[3]. Je trouve, à la fin de la copie de Polichinelle à la guinguette de Vaugirard, cette apostille que je crois de Pont-de-Vesle : « Bon à jouer en société de marionnettes, et y ajouter de nouvelles scènes[4]. » Les scènes ajoutées par de tels amateurs ne devaient

  1. Oeuvres de Voltaire, t. XIV, p. 393 et 394, édit, de M. Beuchot.
  2. Affiches de Boudet, 20 février 1749.
  3. Le Colporteur, p. 140.
  4. Portefeuilles manuscrits de M. de Soleinne, n° 3399.