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la suite de l’invasion, subirent alors une fatalité de leur situation. Le malheur fut pour eux ; l’avantage fut pour la France écrasée, à qui ils épargnèrent une occupation prolongée, qui pour un temps (non pas pour toujours assurément) l’aurait réduite au sort de la Pologne. M. de Chateaubriand démontre cela avec beaucoup de vérité et de noblesse ; nous constatons cette défense généreuse avec plaisir. Nous aimons qu’on soit de son parti, qu’on défende sa cause, quels que soient cette cause et ce parti. C’est un plaisir que M. de Chateaubriand ne nous fait pas souvent dans le récit de sa carrière politique.

De 1814 à 1848, la France a fait pendant trente-quatre ans l’essai du gouvernement représentatif. Trois fâcheuses dispositions ont principalement contribué à donner par deux fois à cette tentative une si triste issue : un esprit d’opposition général et systématique contre le pouvoir, l’excès des prétentions, la vivacité des inimitiés personnelles. Ces trois traits du caractère de la nation, communs à presque tous nos hommes politiques, ont rendu le gouvernement à peu près impossible avec des institutions dont la liberté encourage la résistance, excite l’ambition, donne carrière aux ressentimens. Nous n’avons pas souvenir de les avoir jamais vus nulle part si prononcés que dans le portrait vivant qui nous est tracé par les Mémoires d’Outre-Tombe. Homme public pendant quinze ans, mêlé à la politique par ses préoccupations, quand il ne l’était plus par ses actes, M. de Chateaubriand a fait opposition à tous les pouvoirs : il a prétendu à tout ; il a fini par détester tout le monde. Les griefs de ces oppositions constantes, le dépit de toutes ces vanités blessées, le fiel de toutes ces haines contenues, voilé ce qui compose les quatre derniers volumes de ses Mémoires.

Plus d’un lecteur se sentira, comme nous, en abordant cette partie de l’ouvrage, dans une situation d’esprit tout opposée à celle qui l’inspira. M. de Chateaubriand ne décolère pas (passez-moi le mot) contre les partis et les hommes qui se sont succédé au pouvoir. Pour notre part, le récit de ces belles années de liberté et de paix nous inspire un sentiment de reconnaissance qui s’étend à ceux dont le nom s’y trouve mêlé. La tâche entreprise par les deux monarchies constitutionnelles dans des conditions différentes nous paraîtra toujours, quel qu’en ait été le succès, la plus noble qu’aucun gouvernement se soit jamais proposée. Concilier les principes de l’autorité royale avec les garanties de la liberté publique ; sur le terrain rasé par la révolution française, élever un édifice social nouveau, qui pût se tenir debout, par les seules forces du bon sens et de la raison, sans demander à personne le sacrifice d’aucun droit légitime, sans reconnaître d’autres privilèges que ceux de l’inégalité naturelle des intelligences ; se charger de la protection commune de tout le monde, en se laissant attaquer par le premier venu : voilà le problème qu’ont résolu pour le bien de la France, pendant