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de ses marionnettes, il exploita le genre des pièces à machines, que son maître avait mises à la mode, et qui attiraient la foule dans la salle des Tuileries.

J’ai sous les yeux le programme d’une de ces pièces, daté de la fin de juin 1759 : « Junon aux enfers, spectacle mécanique, comme ceux des anciens Romains, sur le grand théâtre de la barrière du Temple… » Suit l’analyse des deux actes, qui contiennent l’histoire d’Athamas, d’après le récit d’Ovide. Le programme se termine ainsi : « Pièce composée par le sieur Fourré, ancien décorateur de M. le comte de Clermont, ancien entrepreneur des nouveaux bâtimens du Temple, sous les ordres de monseigneur le rince de Conti. »

En 1760, Fourré céda sa loge à Nicolet cadet, joueur de marionnettes comme son père. Parmi les pièces de son répertoire, nous citerons Arlequin Amant et Valet, en trois actes et en prose. Après avoir occupé, pendant quatre ans, la loge de Fourré, il en loua une autre sur un terrain attenant, qu’il acheta en 1767, et où il fit bâtir un assez beau théâtre, malgré les difficultés que lui opposaient le mauvais état du sol et le voisinage de l’ancien rempart, dont ses constructions ne pouvaient dépasser la hauteur. Il ouvrit cette nouvelle salle en 1769. Dès son arrivée sur le boulevard, Nicolet avait joint à ses acteurs de bois des acteurs vivans de toutes sortes : à la porte, Paillasse, avec ses parades ; au dedans, outre ses danseurs de corde, les refrains de Taconnet ; de plus, quelques animaux savans, et surtout un singe égal en gentillesse à celui de Brioché. M. de Boufflers a composé sur ce singe une assez jolie chanson. La devise de Nicolet était, comme on sait, de plus fort en plus fort, et il y a été fidèle. En 1772, sa troupe d’équilibristes, appelée à Choisy, où était la cour, fut si agréable à Louis XV et à Mme Du Barry, qu’il obtint pour sa troupe le titre de grands danseurs du roi[1], ce qui ne l’affranchit pas cependant de l’obligation de garder ses marionnettes et de jouer aux foires, double chaîne qu’il porta jusqu’à la loi de 1791. Affranchi alors, le théâtre de Nicolet prit, le 22 septembre 1791, le nom de Théâtre de la Gaieté, qu’il a gardé jusqu’à ce jour, en dépit des glapissemens du mélodrame.

L’ancienne salle de Fourré, que Nicolet avait quittée en 1664, fut, quelques années plus tard reconstruite et occupée par un autre joueur de marionnettes qui aspirait, comme Nicolet et ses confrères, à de plus hautes destinées. Audinot, auteur et chanteur de l’Opéra-Comique et de la Comédie-Italienne réunis, où il jouait avec talent les rôles à tablier, se brouilla avec cette troupe et la quitta à la clôture de 1767. Après s’être montré, l’année suivante, sur le théâtre de Versailles,

  1. Nicolet, dans son ambitieuse impatience, avait pris plusieurs fois ce titre de sa propre autorité, ce qui avait failli lui faire de très mauvaises affaires avec la police. Voy. les Mémoires secrets de Bachaumout, année 1769.