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de M. de Soleinne contiennent à cette date deux pièces de Fuzelier, le vieil athlète des théâtres forains, jouées à la foire Saint-Laurent par les comédiens de bois (c’était le nom des marionnettes de Nicolet) l’une est intitulée la Ligue des Opéras, farce en un acte ; l’autre, Polichinelle maître d’école, parodie du ballet de l’École des Amans[1].

Il s’opéra, vers cette époque, un grand changeaient dans le répertoire des marionnettes : nous allons voir l’esprit, l’invention, la malice, diminuer chaque jour, et la recherche des effets et des surprises de la mécanique augmenter dans une proportion correspondante. Les affiches de Paris nous prouvent que ce n’est plus désormais que sur des pièces à grand spectacle que Bienfait et ses rivaux fondaient l’espoir d’attirer la foule. Une annonce du 4 juillet 1746 est ainsi conçue : « Le Bombardement de la ville d’Anvers sera représenté sur le théâtre du sieur Bienfait, seul joueur de marionnettes de monseigneur le dauphin ; c’est à la foire Saint-Laurent, dans le petit préau, au grand théâtre[2]. » Ces mots pompeux sont les avant-coureurs de la décadente, et Bienfait ne change pas seulement de genre, il change le nom de son spectacle et lui en cherche un plus ambitieux. Voici l’affiche du 14 août 1746, répétée tous les jours suivans : « Les comédiens praticiens français du sieur Bienfait donneront Arlequin vainqueur de la femme diablesse (je lis ailleurs vainqueur de la femme de son maître), pièce en vaudevilles, ornée d’un magnifique spectacle, suivie de la Prise de Charleroy ; le tout précédé des bonnes marionnettes et des Amusemens comiques de Polichinelle, qui mettra tout en œuvre pour mériter les bonnes graces du public. »

Ce nouveau nom de comédiens praticiens donné aux marionnettes tirait son origine de la pratique. C’était pour Bienfait un moyen de rehausser ses acteurs de bois, dont la vogue était un peu en baisse, et de les distinguer de la troupe d’enfans qui jouait concurremment sur son théâtre, sous le nom de petits comédiens pantomimes[3]. Il faisait, en 1747, représenter tous les jours la Descente d’Énée aux enfers. Je ne crois pas que cette pièce fût celle où Fuzelier et Valois d’Orville avaient récemment parodié la Didon de Lefranc : ce devait être plutôt une pièce à machines, dans le genre de celles que Servandoni avait mises à la mode Une annonce de l’année suivante déclare même cette prétention : « Dix-neuf février 1748, Assaut général de Berg-op-Zoom, et vue du pillage du dedans, spectacle brillant, dans le goût de celui de Servandoni, qui sera représenté sur le théâtre du sieur Bienfait, seul joueur de marionnettes des menus plaisirs de monseigneur le dauphin. » Alors en effet, commençait l’engouement pour les spectacles qui ne s’adressent qu’aux yeux : c’était le triomphe de la mécanique.

  1. Théâtre inédit de Fuzelier, Soleinne, n° 3405, 2.
  2. Affiches de Boudet.
  3. Mêmes Affiches, 27 juillet 1747, 20 et 27 février 1749.