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successeurs ont tout fait rentrer dans un panthéon en désordre, où Dieu et les démons, le bien et le mal, le vrai et le faux, la passion et la vertu, reçoivent le même encens souillé et entendent les mêmes cantiques verbeux. Il n’est personne aujourd’hui qui n’en souffre : la profanation des choses saintes est le mal de la littérature et de la société actuelle. Elles seront condamnées au dernier jour par le second article du Décalogue : Vous ne prendrez pas le nom de Dieu en vain. La génération précédente se jouait du christianisme, celle-ci joue avec lui. Le sacrilège a succédé à l’incrédulité. Il serait injuste assurément de faire remonter jusqu’au Génie du Christianisme la solidarité de pareils travers. Ni la langue de M. de Chateaubriand ni son esprit ne se prêtaient à de tels écarts. Un sens droit et une phrase nette l’ont toujours distingué du vague panthéisme de son école ; mais il est certain que l’entreprise de réhabiliter le christianisme plutôt encore comme beau que comme vrai, au point de vue de l’art plus que du dogme, a été le commencement de ces traitemens familiers et blasphématoires que nous lui voyons subir, et que le premier qui a dit que Dieu était un grand poète a autorisé d’autres à penser, s’il ne pensait déjà lui-même, qu’en qualité de confrères tous les poètes sont de petits dieux.

Mais reprenons le fil des Mémoires : la hardiesse de M. de Chateaubriand contre l’empereur tout-puissant eut du moins pour lui cet avantage, qu’elle lui donna le droit de l’attaquer sans ménagement lorsqu’il n’était déjà plus le maître du monde, mais seulement un défenseur du sol français, serré contre les murs de sa capitale par cinq armées victorieuses que son bras seul tenait en échec. Ce fut, il nous le raconte, dans le petit bois de la Vallée-aux-Loups, au bruit du canon des alliés, qu’il écrivit les premières notes qui servirent à la brochure de Bonaparte et des Bourbons. Par parenthèse, il nous paraît plus que douteux qu’à la date indiquée par les Mémoires (en décembre 1813), on pût entendre du Val-aux-Loups le canon d’armées qui étaient encore à cinquante lieues de Paris, et nous sommes heureux de le penser. Ce tableau d’un patriote établi dans une petite maison de campagne et écrivant à tête reposée un pamphlet contre le général des armées françaises, au son des armes étrangères, n’a, quoi qu’on fasse, rien qui plaise, et on aurait pu nous épargner ce détail répugnant, surtout s’il est contraire à la vérité. À cela près, nous ne ferons pas le procès à M. de Chateaubriand pour l’amertume de son invective contre un vaincu. Il a très bien démontré qu’il n’a pas dépassé ce jour-là le diapason de l’injure habituel en France le lendemain de la chute d’un pouvoir, quel qu’il soit. En s’emportant contre Bonaparte, il faisait comme beaucoup de ses meilleurs amis de la veille. En désignant les Bourbons aux regards de la France abattue, il ne leur rendit pas un service, il leur imposa une lourde charge. Les Bourbons, rentrant à