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dans sa VIIe épître adressée à Racine en 1677, a immortalisé le second Brioché :

Et non loin de la place où Brioché préside…

Cette place était située à l’extrémité nord de la rue Guénégaud, alors nouvellement construite ; « les marionnettes de Fanchon, dit Brossette, jouoient sur cette place, dans un endroit nommé le Château-Gaillard. » Cependant François Brioché paraît avoir été, vers cette époque, un peu troublé dans son domicile. Sans quitter les environs du Pont-Neuf, il semble avoir voulu émigrer sur l’autre rive. Une lettre inédite de Colbert au lieutenant-général de police, datée du 16 octobre 1676, contient, ce qui suit : « Le nommé Brioché s’est plaint au roy des deffenses qui lui ont esté faites par le commissaire du quartier Saint-Germain-l’Auxerrois d’y jouer des marionnettes, sa majesté m’a ordonné de vous dire qu’elle veut bien lui permettre cet exercice, et que, pour cet effet, vous ayez à lui assigner le lieu que vous jugerez le plus à propos[1]. » On voit que Brioché avait conservé de puissans amis en cour.

Nous trouvons François encore établi près du Pont Neuf en 1695. Après le brillant succès du Joueur, le poète sans fard, Gascon, adressa à Regnard une épître demi-louangeuse et demi-satirique, où il l’engage à rompre tout commerce avec ses collaborateurs forains, et renvoie ceux-ci à Brioché et aux marionnettes :

Que je vous plains Dancourt, De Brie et Dufréni !
Portant à Brioché vos pointes à la glace,
Allez sur le Pont-Neuf charmer la populace[2].

Ce pauvre Brioché était, comme on voit, le point de mire de tous les beaux-esprits caustiques. La célébrité de son nom fit de ses marionnettes un lieu commun satirique. Le poète Lainez, annonçant dans une épigramme, d’ailleurs assez froide, qu’il renonce aux muses sévères et qu’il enferme sous quatre clés Horace. Boileau et le bon goût, pour chercher des succès faciles, ajoutait ironiquement que

Brioché, Linière et Dancourt
Lui montroient le grand art de plaire[3],


grand art en effet, quand on l’atteint, fût-ce en compagnie de Brioché ! Au reste, faciles ou non, les succès des deux Brioché ont été éclatans, soutenus, fructueux, et leur ont suscité de nombreuses et redoutables concurrences. Je vais faire connaître les plus célèbres de leurs rivaux.

  1. Cette lettre se trouvera dans le tome second de la Correspondance administrative sous Louis XIV dont M. Depping a déjà publié le premier volume dans la Collection des documens historiques. Le second est sous presse.
  2. Voyez les Poésies du poète sans fard, à Libreville, chez Paul Disant-Vray, à l’antique miroir qui ne flatte point ; 1698. Épître XII, v. 15 et suiv.
  3. Poésies de Lainez, épigramme 23e ; La Haye, 1753. Ce poète mourut en 1710.