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De toute la troupe de Brioché ; nous ne connaissons encore que Polichinelle et dame Gigogne, et de tant de pièces jouées devant le dauphin, nous ne pouvons citer avec assurance un seul titre. Polichinelle avait-il déjà pour compagnons et pour partenaires sa femme Jacqueline, le chien Gobe-mouche, le commissaire, l’archer, l’apothicaire, le bourreau, le diable enfin ? J’ai dit déjà que je le pensais, et une anecdote consignée dans plusieurs ouvrages, mais racontée d’original, je crois, dans le Combat de Cirano, m’affermit dans cette opinion. L’auteur de ce facétieux opuscule, pour glorifier ce qu’il appelle « les machines briochines, que certains prenoient pour personnes vivantes, » rapporte, dans le style extravagant du Voyage dans la lune, une aventure arrivée à Brioché :


« Il se mit, dit-il, un jour en tête de se promener au loin, avec son petit Ésope de bois remuant, tournant, virant, dansant, riant, parlant, etc. Cet hétéroclite marmouzet, disons mieux, ce drolifique bossu, s’appeloit Polichinelle. Son camaradé se nommoit Voisin. N’était-ce pas plutôt le voisin, le compère de Polichinelle ?) Après qu’il se fut présenté en divers bourgs et bourgades, il piétina en Suisse, dans un canton, où l’on connoissoit les Marions et point les marionnettes. Polichinelle ayant montré son minois, aussi bien que sa séquelle, en présence d’un peuple brûle-sorcier, on dénonça Brioché au magistrat. Des témoins attestoient avoir ouy jargonner, parlementer, deviser de petites figures qui ne pouvoient entre que des diables. On décrète contre le maistre de cette troupe de bois animée par des ressorts. Sans la rhétorique d’un homme d’esprit, on auroit condamné Brioché à la grillade dans la grève de ce pays-là, s’il y en a une. On se contenta de dépouiller les marionnettes, qui montrèrent leur nudité[1]. O poverette ! »

On n’était pas bien loin de cette excessive naïveté à Paris même en 1666, si nous en croyons l’auteur du Roman bourgeois :

« Le laquais, dit-il, s’en retourna sans réponse. Son maître lui demanda où il s’étoit amusé si long temps : — Je me suis arrêté à voir de petites demoiselles pas plus hautes que cela, dit le laquais en montrant la hauteur de son coude, que tout le monde regardoit au bout du Pont-Neuf, et qui se battoient. — Or, ce beau spectacle qu’il avoit veu estoit la montre des marionnettes, qu’ilcroyoit ingénument entre de chair et d’os[2]… »

On ne sait pas précisément en quelle année Jean Brioché abdiqua la direction de ses tréteaux en faveur de son fils François, ou, comme l’appelait familièrement le peuple de Paris, Fanchon. Quoi qu’il en soit, le fils, suivant Brossette, surpassa encore le père dans le noble métier de faire agir et parler agréablement ses marionnettes. Boileau,

  1. L’abbé d’Artigny raconte aussi cette aventure, dont il place la scène à Soleure. Ce fut, suivant lui, à M. Dumon, capitaine au régiment des Suisses, alors en tournée de recrutement, que Brioché dut sa liberté, Voyez Nouveaux Mémoires d’histoire, de politique et de littérature, t. V, p. 123 et suiv.
  2. Furetière, le Roman bourgeois, Cl. Barbin, 1666, p. 188 et suiv.