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l’humeur querelleuse de Cyrano, grand ferrailleur, à ce qu’assurent tous les contemporains. « -Son nez, qu’il avait tout défiguré, lui a fait tuer plus de dix personnes. Il ne pouvait souffrir qu’on le regardât, et le cas échéant, il fallait aussitôt mettre l’épée à la main[1]. » La méprise de Cyrano paraîtra pourtant un peu moins incroyable quand on connaîtra le signalement et le costume du fameux singe. « Il étoit grand comme un petit homme et bouffon en diable, dit l’auteur du Combat de Cirano ; son maître l’avoit coiffé d’un vieux vigogne dont un plumet cachoit les fissures et la colle ; il luy avoit ceint le cou d’une fraise à la Scaramouche ; il luy faisoit porter un pourpoint à six basques mouvantes, garni de passemens et d’aiguillettes, vêtement qui sentoit le laquéisme ; il lui avoit concédé un baudrier d’où pendoit une lame sans pointe[2]. » C’est cette lame que la pauvre bête eût le malheur de dégaîner devant cet enragé de Cyrano. Quoi qu’il en soit si Fagotin a succombé dans ce duel inégal, son nom et son emploi lui ont survécu ; Fagotin a été, jusqu’aux dernières années du XVIIe siècle, le compagnon obligé de tout bon joueur de marionnettes. Loret, décrivant toutes les merveilles de la foire Saint-Germain de l’année 1664, n’oublie pas de citer

Entre cent et cent batelages,
Les fagotins et les guenons.

Mais qu’ai-je besoin d’alléguer Loret et sa Gazette en vers ? La Fontaine a loué les tours de Fagotin dans sa fable de la Cour du Lion, et la railleuse Dorine promet à l’heureuse femme de Tartufe qu’elle pourra avoir au carnaval

Le bal et la gran’branle, à savoir deux musettes,
Et parfois Fagotin et les marionnettes.

Le singe de Brioché a eu, comme nous verrons plus tard, un successeur illustre dans le singe de Nicolet.

Cette année 1669 (l’année du Tartufe), Brioché fut appelé à l’honneur d’amuser à Saint-Germain-en-Laye le dauphin et sa petite cour. La mention d’une somme assez ronde payée à Brioché, le bateleur populaire pour cet office aristocratique, se trouve dans les registres du trésor royal, année 1669, au folio 44 : « A Brioché, joueur de marionnettes, pour le séjour qu’il a fait à Saint-Germain-en-Laye pendant les mois de septembre, octobre et novembre 1669, pour divertir les enfans de France, 1,365 livres, » et au folio 47 on lit une seconde mention de même nature, qui s’applique à un autre joueur de marionnettes, François Daitelin, dont nous ne savions rien jusqu’ici, si ce

  1. Ménagiana, t. III, p. 240.
  2. Voyez Combat, etc., p. 10.