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VI. – PREMIERS JOUEURS DE MARIONNETTES. – LES DEUX BRIOCHE.

Les plus anciens maîtres de marionnettes dont le nom soit resté dans la mémoire des amateurs sont les deux Brioché. Suivant une tradition recueillie par Brossette, Jean Brioché exerçait, dès le commencement du règne de Louis XIV, la double profession d’arracheur de dents et de joueur de marionnettes, au bas du Pont-Neuf, en compagnie de son illustre singe Fagotin. Je m’applaudis de pouvoir augmenter la biographie de cet Eschyle burlesque de plusieurs détails inédits ou peu connus. D’abord, la mazarinade, dont j’ai parlé jette quelque jour sur les débuts de sa carrière. En effet, le Polichinelle signataire supposé de la Lettre à Jules Mazarin est bien probablement le pantin que Jean Brioché faisait manœuvrer au bas du Pont-Neuf, ou, ce qui revient au même, près la Porte de Nesle, laquelle était encore debout en 1649. Je suis loin d’accuser Jean Brioché ou Briocci, qui était peut-être le compatriote et l’obligé de Mazarin, d’avoir écrit ce libelle en vue d’abriter sa popularité menacée. Je crois et je veux croire, pour l’honneur des marionnettes, qu’un frondeur anonyme a fait parler le Polichinelle de la porte de Nesle, comme d’autres la Samaritaine, le Cheval de bronze, etc., etc. Dans tous les cas, les discours prêtés au petit Ésope du Pont-Neuf prouvent que son maître et lui étaient déjà fort considérés et aimés dans Paris, et que Brioché venait d’être admis aux privilèges de la bourgeoisie parisienne et reçu même dans les rangs de la garde urbaine. « Je puis, dit-il, me vanter sans vanité, messire Jules, que j’ai esté toujours mieux venu que vous du peuple et plus considéré de lui, puisque je lui ai tant de lois ouy dire de mes propres oreilles : « Allons voir Polichinelle ! » et personne ne lui a jamais ouy dire : « Allons voir Mazarin… » C’est ce qui fait que l’on m’a reçu comme un noble bourgeois dans Paris, et vous, au contraire, on vous a chassé comme un p…x d’église. » Je préviens une fois pour toutes les personnes délicates qui veulent bien me lire qu’il faut pardonner quelques licences au jargon de Polichinelle.

Vers cette époque, le lunatique Cyrano de Bergerac, ayant pris Fagotin pour un laquais qui lui faisait la grimace, le tua d’un coup d’épée, ce qui donna lieu à une facétie intitulée : Combat de Cirano (sic) de Bergerac contre le singe de Brioché. Cet opuscule, précédé d’une dédicace en vers à feu Cyrano, a dû être imprimé peu de temps après sa mort, arrivée en 1655[1]. Cet opuscule, à vrai dire, et l’anecdote elle-même pourraient bien n’être qu’un badinage destiné à railler

  1. Ce petit livre est rare, quoiqu’il ait eu plusieurs éditions. J’ignore la date de la première ; il a été réimprimé de nos jours sur celle de 1704 ; on en cite une autre de 1707.