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A basteleurs traynans marmottes,
A folz et folles, sotz et sottes
Qui s’en vont sifflant cinq et six,
A marmouzets et mariottes,
Je crye à toutes gens merciz[1].

À la fin du XVIe siècle et au commencement du XVIIe, plusieurs écrivains de croyance protestante ou d’humeur sceptique se plurent à confondre dans une intention moqueuse le sens religieux et le sens profane des mots marmouzets et marionnettes. Henry Estienne, s’élevant dans l’Apologie pour Hérodote, contre les châtimens infligés aux calvinistes pour la mutilation des madones et des figures de saints, s’écrie : « Jamais les Égyptiens n’ont fiait si cruelle vengeance du meurtre commis en leurs chats, qu’on a veu faire de nostre temps de ceux qui avoient mutilé quelques marmouzet et quelque marionnette[2]. »

Je dois mentionner ici, pour mémoire, une triste et singulière acception du mot marionnette, acception bien certaine, quoiqu’elle ne soit consignée dans aucun dictionnaire de la langue. Non-seulement on a nommé marionnettes, au XVIe siècle, toutes sortes de statuettes à ressorts, sacrées ou profanes ; mais, par une bizarre extension, on a donné ce nom aux poupées soi-disant surnaturelles et aux bestioles supposées malfaisantes, qu’on accusait les prétendus sorciers de nourrir et d’entretenir auprès d’eux comme démons familiers ou comme idoles. Dans un incroyable volume imprimé à Paris en 1622, Pierre de l’Ancre, conseiller du roi en son conseil[3], a rassemblé et commenté les extraits de dix à douze procédures criminelles, dirigées de 1603 à 1615 contre divers pauvres idiots accusés de magie, et à qui l’on imputait « d’avoir tenu à l’estroit et gouverné en leur maison des marionnettes (qui sont de petits diablotaux, ayant d’ordinaire forme de crapaud, aucunes fois de guenons, tousjours très hideuses…), qu’ils nourrissent d’une bouillie composée de laict et de farine, leur donnant par révérence le premier morceau, les consultant sur toutes leurs affaires ; voyages et négoces, disant qu’il y a pour eux plus d’acquet en telles bestes qu’en Dieu ; qu’ils ne gagnent rien à regarder Dieu, et que leurs marionnettes leur rapportent tousjours quelque chose, etc… » Ce qu’il y a de profondément triste au milieu de ces bouffonneries judiciaires, c’est que ces odieux et inconcevables procès étaient toujours accompagnés de la question, et se terminaient d’ordinaire par cette sinistre formule : « Condamnez par sentence à estre pendus et

  1. Œuvres de Villon, ballade XV, p. 246. Du temps de Ménage, on nommait en Languedoc, et on y nomme peut-être encore nos marionnettes, mariottes. Voy. Dictionnaire étymologique, etc., au mot Marote.
  2. Apologie pour Hérodote, discours préliminaire, t. I, p. XVI, édit. de Leduchat.
  3. L’incrédulité et mescréance du sortilège pleinement convaincues ; Paris, 1622, in-4o, p. 617, 791, 801, 803.