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salaire. » Tout récemment encore, le Times, après avoir comblé d’éloges un discours de lord Hardwick sur les changemens à apporter à l’agriculture de l’Irlande et sur l’introduction dans ce pays du système des allottments, ajoutait qu’il fallait se garder soigneusement de créer ou de laisser naître en Irlande une classe de petits propriétaires, et qu’une grande amélioration serait accomplie le jour où les petits fermiers auraient disparu et où la grande masse de la population devrait sa subsistance à des salaires réguliers, au lieu de l’attendre d’un travail souvent infructueux et d’être à la merci des saisons. On voit que c’est l’adoration du système manufacturier. Le Times méconnaît ce fait moral incontestable, que c’est précisément la nécessité d’un travail continuel et l’incertitude des saisons qui donnent au laboureur des habitudes d’activité, de prévoyance et d’économie, tandis que l’ouvrier des manufactures, impuissant à prévenir les chômages et les crises industrielles, contracte à ce sujet une sorte de fatalisme dont on a peine à triompher. Si le paysan irlandais, sans racines sur le sol, certain de voir tous les produits de son travail absorbés par le marchandage et victime d’une législation qui a sacrifié l’Irlande à l’Angleterre, est un modèle d’apathie et d’incurie, au Canada, aux États-Unis, partout où il cultive pour son propre compte, il devient le plus laborieux et le plus industrieux des propriétaires. Lord Durham a été le premier à le proclamer dans son rapport sur le Canada.

Après les remarquables travaux de M. Passy, il est superflu de démontrer quels ont été, pour la France, au point de vue matériel et surtout au point de vue moral, les avantages de la division de la propriété ; mais les Anglais ferment volontairement les yeux à l’expérience de la France et du continent tout entier. La vérité est apparue à M. Kay quand il a quitté la Saxe pour la Bohème, et qu’il a vu, d’un côté de l’Elbe, la petite propriété, l’aisance générale, l’instruction, la moralité, et de l’autre la grande propriété, le paupérisme et la dépravation. Un séjour de plusieurs années en Allemagne lui a montré partout les mêmes causes produisant les mêmes résultats. Il est revenu alors en Angleterre pour raconter ce qu’il avait vu et élever courageusement la voix contre les préjugés de la foule : nous doutons qu’il fasse beaucoup de conversions.

Les mœurs et la législation mettent également obstacle à la diffusion de la propriété. Ce n’est pas que la loi anglaise s’oppose, comme semble le croire M. Ledru-Rollin, à l’aliénation des domaines seigneuriaux : il n’est point, au contraire, de terre inaliénable ni rien qui ressemble aux majorats français ; mais la faculté illimitée de tester permet en Angleterre, comme en Autriche, au testateur d’attacher à la possession des terres qu’il laisse des conditions qui en rendent l’aliénation impossible pendant trois générations, c’est-à-dire pendant près d’un siècle. Il lui suffit de substituer à l’hérédité deux ou trois personnes