Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/1016

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et le surcroît d’engrais qu’ils obtiennent leur sert à donner aux terres qu’ils ensemencent une plus grande fertilité. Les sols un peu lourds dont le labour exigeait un grand nombre de chevaux, et de forts chevaux, ont été convertis les premiers en pâture ; mais ce changement a pris de telles proportions, qu’aujourd’hui les prairies et les pacages forment les trois cinquièmes des terres arables, et que deux cinquièmes seulement sont consacrés aux céréales et au jardinage. Il en est résulté une diminution correspondante dans la main-d’œuvre nécessaire aux fermiers.

Le travail se retire donc des journaliers, dont il est le seul moyen d’existence, et leur salaire va s’abaissant d’année en année. Il est encore supérieur à celui du journalier français ; mais, comme tout est plus cher en Angleterre, il représente une moindre quantité des objets nécessaires à la vie. Il n’y a point de proportion surtout entre le prix du loyer dans les deux pays, car le prix que les journaliers anglais sont obligés de donner d’une masure en ruines représenterait, dans beaucoup de nos provinces, la location d’une chaumière en bon état et d’un jardin en plein rapport Leur misère est telle qu’on ne peut reprocher au correspondant du Chronicle d’avoir outré la vérité, car M. Kay est allé beaucoup plus loin encore. Les chaumières où les journaliers anglais, hommes, femmes et enfans, vivent pêle-mêle, et où quelquefois plusieurs familles sont entassées, défient toute description. La nourriture de ces malheureux est aussi malsaine qu’insuffisante, et leurs vêtemens ne sont que des haillons. Il n’y a que la misère des tisserands des Flandres qui soit comparable à la leur. Ce qui est plus douloureux et ce que M. Kay a su faire ressortir avec la plus grande force, c’est la dégradation morale qui accompagne cet excès de misère. Autant l’Anglais, quand il est éclairé et qu’il prospère, se montre actif et industrieux, autant il s’abandonne complètement sous l’influence de l’ignorance et de la misère. Le paysan français semble savoir tous les métiers pour tenir en bon état sa demeure, et il n’appelle l’artisan du dehors qu’à la dernière extrémité : le journalier anglais croupit dans la fange sans avoir même la pensée de faire une tentative pour empêcher son toit d’être percé par la pluie, ou d’enlever les immondices qui entourent et quelquefois qui encombrent sa misérable habitation. Il n’a aucun souci, aucune idée de la propreté, ce luxe du pauvre. Supposez que sa masure fût mieux bâtie, qu’au lieu d’être placée, comme toujours, dans un bas-fond, elle fût située sur un terrain plus élevé, qu’on se fût avisé pour lui de faciliter l’écoulement des eaux qui envahissent le sol non pavé du rez-de-chaussée : son sort n’en serait pas beaucoup meilleur. M. Kay a démontré jusqu’à l’évidence que le journalier anglais n’avait devant lui aucune perspective qui pût le stimuler et le tirer de l’apathie bestiale dans laquelle s’écoule son existence :