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chaque ouvrier fileur en forme deux autres, et que le nombre des ouvriers croît ainsi dans une proportion géométrique. Il a fallu le développement prodigieux des filatures anglaises pour que tous les ouvriers ainsi formés fussent absorbés pendant quinze années par les établissemens nouveaux qui sortaient comme de terre ; il était facile de prévoir que, dès que le nombre des manufactures cesserait de s’accroître avec cette rapidité, il y aurait encombrement d’ouvriers dans la profession, et par suite réduction dans les salaires, en dehors de toutes les causes étrangères qui pourraient affecter l’industrie du coton. C’est là le fait qui, depuis dix ans, se réalise en Angleterre.

Il est d’ailleurs aux souffrances des classes industrielles soit en Angleterre, soit en tout autre pays, une cause générale, indépendante de toute volonté que le temps seul fera disparaître c’est l’inévitable instabilité du travail à une époque de transition comme celle que traverse en ce moment l’industrie. L’introduction de la vapeur dans l’industrie depuis vingt-cinq ans a commencé une révolution dont nous n’avons pas atteint le terme. Il y a loin du premier chemin en bois, construit en Angleterre il y a soixante ou quatre-vingts ans, aux chemins de fer actuels, sur lesquels trois mille personnes à la fois franchissent cent lieues en quelques heures ; il y a plus loin encore du frêle navire essayé, il y a quarante ans, par Fulton, dans les eaux de l’Hudson, aux gigantesques steamers qui traversent l’Atlantique, et dont sir Ch. Lyell condamnait la conception au nom même de la science, et pourtant un constructeur anglais prenait naguère des milliers de personnes à témoin de sa promesse qu’avant un an on pourrait entendre le service divin un dimanche à Liverpool, et l’entendre le dimanche suivant à Boston. Personne, en présence de ces faits, ne peut songer à limiter d’avance les perfectionnemens qui seront apportés dans l’application de la vapeur à l’industrie. Chacun de ces progrès, si désirable et si heureux qu’il soit, n’en est pas moins une cause momentanée de souffrances pour les classes laborieuses, en rendant inutiles un certain nombre de bras. Il n’est donc pas de socialisme qui puisse prévenir le retour presque périodique de crises pénibles, jusqu’à ce qu’il se fasse un départ inévitable d’attributions entre l’agent matériel, aveugle, mais perfectionné, et l’agent vivant, seul capable d’intelligence et de volonté, — entre l’instrument et l’ouvrier. C’est là l’histoire de l’industrie du coton en Angleterre depuis quarante années. Le coton se travaillait d’abord exclusivement avec des métiers à la main, e t comme il fallait à l’ouvrier une grande force physique, ses gages étaient élevés et son travail assuré. À partir de 1813, le nombre des métiers mécaniques qui permettaient à un homme de force médiocre de faire l’ouvrage de plusieurs commença à s’accroître et à répandre l’inquiétude parmi les tisseurs à la main ; mais l’abondance