Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/1006

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

centaines que dans certains comtés on a, l’année dernière, créé des électeurs. Un tel plan aurait-il été mis en pratique, aurait-il même été conçu, si les promoteurs de l’entreprise, dont quelques-uns sont de grands manufacturiers, n’avaient été convaincus que les ouvriers peuvent faire des épargnes sur leur salaire ? M. Cobden racontait récemment dans un meeting d’ouvriers qu’à la dernière séance de l’association de Manchester, au moment où un ouvrier, après avoir acquitté le dernier versement obligatoire, emportait son titre de propriété, sa femme lui avait remis un livret de la caisse d’épargne en lui disant : « Si tu acquiers tous les mois un pied de terre, je mets de côté tous les mois une pierre pour y bâtir notre maison. » Voici donc au moins un ménage où non-seulement le mari, mais la femme pouvaient faire une épargne sur leur salaire. On peut demander encore comment s’explique le développement considérable que prend d’année en année, dans les districts manufacturiers, la consommation des boissons fermentées et des spiritueux. Telle ville industrielle de second ordre renferme plus de tavernes et de lieux de débauche que Paris. Si donc il est des salaires insuffisans, on a droit de penser qu’il en est aussi beaucoup qui sont mal employés. Rien ne serait plus facile que de montrer par des chiffres quel taux élevé ont atteint les salaires à diverses époques ; mais on ne manquerait pas de dire que ce sont là des faits exceptionnels. Permettra-t-on du moins de faire observer qu’au lendemain de révolutions qui, en bouleversant l’Europe, ont ruiné quelques-uns des principaux marchés de l’Angleterre, et au début de l’expérience du libre-échange, le Chronicle choisissait mal le moment d’une enquête sur la situation de l’industrie manufacturière, et que les chiffres avancés par M. Ledru-Rollin peuvent être considérés, eux aussi, comme des chiffres exceptionnels ?

.Un témoignage qu’aucun socialiste ne peut récuser suffirait seul à prouver que la détresse industrielle est concentrée en Angleterre dans certaines professions. Le chartiste Fletcher disait au sein de la fameuse convention nationale « Vous ne pouvez compter que sur les districts de Cumberland, de Westmoreland, d’York et de Lancaster ; il n’y a d’accord en faveur de la charte que parmi les ouvriers les moins payés. L’homme qui gagne 30 shillings par semaine ne s’inquiète à aucun degré de ceux qui n’en gagnent que 15, lesquels à leur tour n’ont nul souci de ceux qui n’en gagnent que 5. Il y a une aristocratie dans les classes ouvrières. » Dans ces paroles de Fletcher se trouvent indiqués les véritables foyers du paupérisme industriel ; ailleurs il peut être combattu par la diffusion de l’instruction, par le rétablissement des bonnes mœurs, par le développement des institutions d’assistance et de prévoyance. Dans le comté de Lancaster, dans ceux d’York, de Cumberland et de Westmoreland, ces remèdes ne seraient que des palliatifs