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Mme de Beaumont ont une simplicité touchante qui fait aimer celui qui fut digne d’être aimé d’elle. Ce demi-volume est peut-être la seule partie complètement agréable des Mémoires d’Outre-Tombe. On se réconcilie avec l’écrivain, parce qu’il a eu le bon goût de s’oublier un instant ; hélas ! le réveil ne se fait pas attendre bien long-temps.

Nous avons entendu demander à quelques personnes ce que venait faire, au milieu des mémoires de M. de Chateaubriand, l’histoire éloquente de l’empire et de l’empereur. Le prétexte qu’on nous donne, la nécessité de mettre le lecteur au courant de l’état des affaires politiques au moment où l’auteur entre dans la vie publique, n’a pas paru suffisant pour excuser une telle digression. La vie de Bonaparte donnée simplement comme moyen d’expliquer quelques luttes de presse ou de parlement, le cadre dépassait ridiculement le tableau. Personne n’a voulu supposer M. de Chateaubriand capable d’une telle faute de goût. Historien, a-t-il simplement voulu saisir l’occasion de faire réparation au grand homme qu’il s’était cru, en qualité de chef de parti, autorisé, obligé peut-être à calomnier ? Auteur d’une invective fameuse qui figurera auprès des monumens de l’éloquence antique et parmi ceux de l’injustice contemporaine, a-t-il voulu, par une appréciation plus saine, réhabiliter son jugement aux yeux de la postérité ? Ou bien encore avait-il quelques traits d’éloquence à placer sur un ton différent de ceux qu’il avait fait entendre pendant sa vie ? Rhéteur avant toutes choses, comme le sont les amans passionnés de la forme, après avoir tiré de l’indignation et de la haine tout ce qu’elles contenaient d’effets oratoires, aurait-il eu regret à ne pas fouiller, à leur tour, les lieux communs de l’admiration et de la gloire ? Tous ces motifs ont pu contribuer à égarer ainsi sa narration sur le chemin de tous les champs de bataille de l’Europe. Il nous est difficile, cependant, de n’en pas supposer un plus direct, plus personnel encore : il perce, suivant nous, à toutes les lignes, sous des formes diverses, un peu timides, un peu honteuses, mais qui ne permettent pas de s’y méprendre.

Rapprochez seulement ces passages qui paraissent écrits par une main tremblante d’une passion contenue ; en premier lieu, le récit de son entrevue avec le premier consul, qui venait de le nommer secrétaire d’ambassade à Rome, à la suite de la publication du Génie du Christianisme. « J’étais dans la galerie lorsque Napoléon entra… Il m’aperçut et me reconnut, j’ignore à quoi. Quand il se dirigea vers ma personne, on ne savait qui il cherchait : les rangs s’ouvraient successivement ; chacun espérait que le consul s’arrêterait à lui ; il avait l’air d’éprouver une certaine impatience de ces méprises. Je m’enfonçais derrière mes voisins. Bonaparte éleva tout à coup la voix et me dit : Monsieur de Chateaubriand ! Je restai seul alors en avant… Bonaparte m’aborda avec simplicité, sans me faire de complimens, sans question oiseuse, sans préambule, comme si j’eusse été de son intimité, et comme s’il n’eût fait que continuer