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L’œuvre des missions est essentiellement catholique, et la France y tient encore aujourd’hui la première place. C’est une gloire que peu de personnes lui connaissent. M. le marquis de Valdegamas disait dernièrement à la tribune espagnole : « La France n’est plus que le club central de l’Europe. » Il faut en convenir, notre situation intérieure et la nature de l’influence que nous exerçons sur les nations voisines donnent à cette éloquente parole un trop fâcheux caractère de vérité. Néanmoins la France a encore un autre rôle meilleur et moins connu : c’est elle qui fournit le plus d’apôtres au christianisme. Les derniers noms européens que l’église ait inscrits sur son martyrologe sont des noms français ; la grande œuvre religieuse de ce siècle, l’association pour la propagation de la foi, est née en France, à Lyon. Cette association, qui s’étend aujourd’hui au monde entier, date de 1822. À cette époque, l’œuvre des missions venait de subir une crise des plus terribles, et qui sous des formes diverses, avait duré quarante-deux ans, de 1773 à 1815.

La suppression de la compagnie de Jésus, en 1773, porta aux missions un premier coup bien rude, car la congrégation des jésuites était alors, comme aujourd’hui, celle qui comptait le plus de missionnaires. Les places laissées vides par les fils de saint Ignace n’étaient pas encore remplies lorsque la révolution française éclata. Tout fut dispersé. Les fondations nombreuses, les collèges, les domaines affectés à l’entretien des missions disparurent. Des soldats campaient à Rome dans le collége de la propagande ; le pape souffrait l’exil et la prison ; la guerre embrasait la chrétienté et le plus souvent fermait les mers. Pendant vingt-cinq ans, toute communication régulière fut interrompue. L’argent d’ailleurs eût manqué pour assurer le passage des missionnaires. Néanmoins quelques héroïques efforts furent tentés. Parmi les prêtres déportés ou qui fuyaient la France, il s’en trouva qui réussirent à traverser l’Océan, et qui purent annoncer l’Évangile aux païens civilisés de l’Asie ou aux sauvages de l’Amérique. En janvier 1791, la congrégation française des Missions Étrangères, que la persécution n’avait pas encore trop rigoureusement atteinte, parce qu’elle était formée, non de religieux, mais de prêtres séculiers, parvint à envoyer six de ses membres dans l’Inde et la Cochinchine. Plus tard, les directeurs de cette congrégation, réfugiés tantôt à Rome, tantôt à Londres, réussirent à faire passer quelques nouveaux apôtres dans leurs missions dix en quinze ans, de 1792 à 1807 ; mais des secours si faibles, obtenus à l’aide des plus grands sacrifices, ne pouvaient que prolonger l’agonie de ces pieux établissemens.

Sous l’empire, les prêtres avaient pu rentrer en France. En 1805, la congrégation des Missions Étrangères et quelques autres furent rétablies par décret impérial. L’œuvre des missions commença dès-lors à se reconstituer ; mais, en 1809, Napoléon, engagé dans une lutte re-