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parlantes, en a-t-il été de même de l’Italie ? Je pense qu’en vertu de leur penchant à l’imitation des choses à la mode, les marionnettes, après avoir copié et exagéré à Rome les bouffonneries atellanesques, ont dû se porter à peu près exclusivement vers la copie sérieuse ou grotesque des pantomimes. Les seuls détails authentiques qui nous soient parvenus sur le jeu des statuettes mobiles à Rome sont le peu que nous avons rapporté de la larve d’argent du festin de Trimalcion. Eh bien ! ce que cette larve imite, ce sont les figures de la danse pantomimique. D’ailleurs, si les histrions romains avaient renoncé au dialogue, c’est-à-dire (pour employer le mot technique) aux diverbia, le spectacle des pantomimes n’était pas pour cela absolument dépourvu de paroles. Il restait, comme je l’ai montré ailleurs[1], les cantica, c’est-à-dire l’exposition demi-épique et demi-lyrique des faits ou des sentimens que l’auteur développait pour les yeux sur la scène. Ces cantica étaient chantés par un coryphée sur le thymélé. C’est ainsi que, pour ne pas sortir du répertoire des pantins, lorsque, dans Pétrone, la main de l’esclave fait exécuter à sa poupée d’argent une danse lémurique, Trimalcion chante à ses convives un canticum, élégie voluptueuse et mélancolique, qui fait comprendre et explique la pensée d’un si étrange spectacle :

Heu, heu ! nos miseros quam totus homuncio nil est !
Quam fragilis tenero flanmine vita cadit !
Sic erimus cuncti, postquam nos auferet Orcus.
Ergo vivamus, dum licet esse bene.

« Hélas, hélas ! infortunés ! combien ce peu qu’on appelle homme est voisin du néant ! Un souffle léger suffit pour emporter notre vie fragile ; nous serons tous comme cette larve, quand Pluton aura saisi sa proie. Vivons donc joyeux pendant que la joie nous est permise. »


Plus tard, le goût de la poésie et de la musique s’affaiblissant de plus en plus, on supprima, surtout dans les provinces éloignées, le chant des cantica, et l’on se contenta, comme à Carthage, au IVe siècle, d’un crieur ou énonciateur scénique (enunciator ou proeco), qui exposait à l’assemblée, non plus par le chant, mais par la simple parole, le sujet de la pièce et les incidens qu’on représentait sur l’orchestre. Proeco pronunciabat, dit saint Augustin[2]. Les marionnettes de la décadence ont dû, à leur tour, adopter cette forme du drame amoindri. Alors le personnel vivant de ce petit théâtre dut se composer de deux fonctionnaires : celui qui, caché aux yeux des assistans, gouvernait les fils moteurs, et le proeco ou l’orateur, qui, debout sur un des côtés du théâtre, exposait le sujet représenté. Nous trouverons bientôt, au

  1. Origines du théâtre moderne, Introduction, p. 486 et suiv.
  2. August., de Doctrin. christ., lib. II, cap. XXV.