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du vice régnant, du ridicule en vogue, et, quand d’aventure elles ne sont point satiriques, ce qu’elles préfèrent, c’est la représentation de l’événement le plus célèbre, de l’anecdote la plus récente, de la légende la plus populaire. Mais, me dira-t-on, les marionnettes modernes ont un répertoire tout semblable, et cependant l’extrême variété des sujets qu’elles traitent ne les a pas empêchées d’adopter un costume à peu près invariable, qui caractérise, sous une forme convenue et idéale, les positions diverses, les caractères et les âges des personnages. En a-t-il été ainsi des marionnettes grecques et romaines ? Sur ce point encore, je l’avoue, les textes et les monumens sont muets. Il est très probable qu’à la sortie de la période hiératique, les premières marionnettes grecques conservèrent pendant quelque temps leur ancien costume sacré, lequel devint, comme on sait, le costume scénique, celui qu’Eschyle fut accusé d’avoir dérobé aux temples et aux mystères[1], et qu’il n’avait pris, en grande partie peut-être, qu’aux marionnettes, je veux dire aux άγάλματα νευρόσπαστα, ou statuettes religieuses, mues par des fils, lesquelles, comme nous l’avons vu, avaient été des idoles avant de devenir des pantins. Entraînées vers la parodie de la vie humaine, qui est leur nature même, les marionnettes ont dû déposer assez vite la syrma tragique pour endosser les fantastiques accoutremens de la comédie, ou, mieux encore, les grotesques costumes du drame satyrique et des chœurs phalliques. Portées par instinct vers les types les plus extravagans et les plus populaires, elles durent affectionner ceux des Pans et des Égipans aux pieds de chèvre, des satyres à la tête ou à la barbe de bouc, des bacchans monstrueusement ithyphalliques, enfin et surtout celui du chef de cette bande joyeuse, du chauve Silène, aux épaules courbées et à la panse arrondie en forme de vénérable bosse.

À Rome, par le même amour de burlesque popularité, les marionnettes ont probablement adopté les costumes et les caractères créés par le génie bouffon des Atellanes. Oui, dès que la vogue de ces types grotesques se fut répandue en Italie, les marionnettes durent revêtir à peu près exclusivement les traits du Pappus, du Casnar, du Bucco, du Maccus, créations impérissables de la fantaisie italienne, qui vivent encore aujourd’hui sous d’autres noms. De leur côté, les acteurs d’Atellanes firent quelques emprunts aux vieilles marionnettes des pompes religieuses et triomphales. Ils donnèrent place sur leur théâtre aux deux loquaces et joyeuses commères, Citeria[2] et Petreia[3] ; ils adoptèrent le Manducus, cette machine effrayante, à la maschouere si bien endentelée,

  1. Voy. AElian., Var. hist., lib. V, cap. xix. — Clement. Alexandr., Stromat., lib. II, p. 461.
  2. Voy. Festus, voc. Citeria.
  3. Id., voc Petreia.