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Dans l’Asie Mineure et dans la Grèce proprement dite, la sculpture à ressorts remonte au berceau des arts et se perd dans la nuit des âges mythologiques. Tout le monde a lu ce qu’Homère raconte des trépieds vivans de Vulcain, aux roues d’or, qui couraient d’eux-mêmes à l’assemblée des dieux et en revenaient[1]. Ce fabuleux travail a inspiré à Aristote une réflexion bien étrange : « Entre l’esclave, instrument animé de travail, dit ce philosophe, et les autres instrumens inanimés, il n’y aurait pas de différence, si les instrumens pouvaient, sur un ordre donné, travailler et se mouvoir d’eux-mêmes, comme les statues de Dédale et les trépieds de Vulcain[2]. » Quant aux statues de Dédale, c’est une question entre les antiquaires de savoir si la mobilité qu’on leur attribue était réelle, ou s’il faut voir seulement dans les passages qui les concernent de simples métaphores admiratives. Il est certain que Dédale, ou l’école que la Grèce a personnifiée sous ce nom détacha le premier les bras et les jambes des statues, jusque-là réunis en bloc[3] qu’il leur donna le regard en accusant la forme des yeux, à peine indiqués avant lui par une faible ligne[4], et qu’en présence de ces heureuses innovations l’admiration publique a pu s’écrier qu’il avait donné à ses statues le mouvement et la vie[5] ; mais, d’une autre part, les témoignages les plus graves établissent qu’aux perfectionnemens tirés de la nature et du génie de l’art l’école dédalienne voulut ajouter un degré de plus d’illusion, et demanda une mobilité réelle à la mécanique. Callistrate l’atteste dans un passage[6] où quelques critiques ont vu trop facilement, ce me semble, une allusion au groupe des danseurs de Gnosse[7], et Aristote n’hésite point à admettre (d’accord sur ce point avec le poète comique Philippe) que la fameuse Vénus de bois, attribuée à Dédale, se mouvait au moyen d’une certaine quantité de vif argent versée dans l’intérieur[8]. Malheureusement Aristote ne nous apprend pas quel agent l’artiste employait pour développer l’élasticité du fluide métallique. On ne peut guère douter que ce ne fût la chaleur d’une lampe ou celle d’un réchaud ; car, si l’on s’en fût reposé sur les seules et faibles variations atmosphériques, la statue de la déesse n’aurait éprouvé que les mouvemens à peine appréciables d’un thermomètre[9].

  1. Iliad., XVIII, v. 376. — Cf. Philostr. Oper., t. I, p. 117. id. ; Olear.
  2. Aristot., Politie., lib. 1, cap. 2.
  3. Diodor., lib. I, § 98. — Cf. Gedicke, in Platon. Menon., p. 72, ed. Buttmann.
  4. Suid., voc. Δαδάλυ οιηυατα. — Schol. in Plat., p. 367, ed. Bekker.
  5. Voyez Ai. Quatremère de Quincy, Jupiter olympien, p. 170,,171.
  6. Callistr., Ecphrasis seu statuoe, apud Philostr. Oper., t. It, p. 899. Cf. Houm., Iliad., XVIII, v. 739-756.
  7. Stor. dell’ Arpte, note de Carl. Fea, t. II, p. 99 et 165.
  8. Arist., De Anima, lib. I, cap. 3.
  9. Les automates mus par le vif-argent ont été d’assez bonne heure communs chez les modernes. Kircher a indiqué la manière de faire rouler, comme de lui-même, un petit chariot au moyen du vif-argent dilaté par la chaleur d’une bougie. Voyez Physiologia Kiircheriana, lib. II, exper. 52, p. 69. — Les Chinois font faire plusieurs culbutes à de petits pantins, au moyen d’un peu de vif-argent contenu dans l’intérieur, et qui, par sa fluidité et sa pesanteur, charge leur centre de gravité. Musschenbroeck a très clairement décrit ce mécanisme dans son ouvrage intitulé : Introductio ad philosophiam naturalem, t. I, p. 143, pl. XI.