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chance d’intéresser sous ma plume qu’autant qu’elle sera conçue et exécutée, comme je vais tâcher de le faire, en toute sincérité, simplicité et bonne foi.

Prendre ainsi ce sujet par son côté sévère et didactique, c’est, je ne l’ignore pas, lui enlever tout à coup l’avantage des allusions, le piquant des saillies, la ressource des digressions, enfin tout le brio traditionnel auquel il s’est si bien prêté jusqu’ici ; mais ne peut-on pas espérer de lui faire regagner, en revanche, un sérieux et solide intérêt de curiosité par l’imprévu des faits, la nouveauté des recherches, la grandeur singulière des noms et des choses, auxquels une destinée bizarre a presque continuellement associé ce petit théâtre ? Oui, les marionnettes touchent, par une foule de points peu remarqués, à tout ce qu’il y a au monde de plus grave et de plus considérable, aux sciences, aux beaux-arts, à la poésie, aux cérémonies du culte, à la politique. Prestigieuses petites créatures, douées à leur naissance des faveurs de plusieurs fées, les marionnettes ont reçu de la sculpture, la forme ; de la peinture, le coloris ; de la mécanique, le mouvement ; de la poésie, la parole ; de la musique et de la chorégraphie, la grace et la mesure des pas et des gestes ; enfin, de l’improvisation, le plus précieux des priviléges, la liberté de tout dire[1]. Et, quand on vient à songer qu’au XVIe siècle des mathématiciens aussi éminens qua Federico Commandino d’Urbin et Gianello Torriani de Crémone, qu’au XVIIIe des écrivains dramatiques aussi justement célèbres que Lesage et Pïron, et d’aussi sublimes musiciens que Haydn, ont travaillé pour les marionnettes, on est obligé de convenir que l’histoire littéraire et la critique auraient bien mauvaise grace de croire déroger, en accordant à ces honnêtes comédiens sans subvention ni cabale un peu de cette attention bienveillante qu’elles ont plus d’une fois prodiguée à des machines moins intelligentes. Il s’agit, j’en conviens, d’un spectacle en miniature : In tenui labor ; mais qu’importe l’exiguïté du cadre, si, entre ce châssis de six pieds carrés, sur le plancher de ce théâtre nain, il se dépense, bon an mal an, autant et plus peut-être d’esprit, de malice et de franc comique, que derrière la rampe de beaucoup de théâtres à vaste enceinte et à prétentions gigantesques ? Pour moi, dans la prévision de mes futurs devoirs d’historiographe, j’ai recueilli tout ce que des lectures, entreprises pour d’autres études, m’ont pu fournir çà et là de renseignemens sur leurs annales. J’ai recherché leur origine, les divers procédés de leur mise en scène, la composition de leur répertoire dans tous les lieux et dans tous les âges, mais plus particulièrement en France, où je l’ai trouvé plus riche, plus varié, et, à certains égards,

  1. Elles n’ont pas joui, cependant, de cette liberté dans tous les pays. Nous verrons les marionnettes proscrites dans le royaume de Prusse, en 1794, et dans quelques autres états du Nord.