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de l’homme, sa forte originalité, c’est dans la façon de l’éloge : « A tout prendre, dit-il, en jugeant d’un point de vue élevé, dans le temps où nous sommes, ce qui est au fond des intelligences est bon. Tous font leur tâche et leur devoir, tous, depuis l’humble ouvrier bienveillant et laborieux, qui se lève avant le jour dans sa cellule obscure, qui accepte la société et qui la sert, quoique placé en bas, jusqu’au roi, sage couronné qui, du haut de son trône, laisse tomber sur toutes les nations les graves et saintes paroles de la paix universelle ! » Je ne puis me priver de remarquer par occasion que M. Hugo était alors d’assez bonne composition avec la misère, et ne paraissait pas encore avoir entrepris de l’exterminer ; je prie qu’on tienne note de la remarque, et je retourne à mon argument. Vous figurez-vous que, pour avoir ainsi parlé du roi Louis-Philippe, M. Hugo fût en ce moment même un orléaniste ? Pas le moins du monde. Ce n’était point le fondateur alerte et agissant de la dynastie de juillet : c’était un saint de pierre, un roi de légende, c’était le calife Aaroun-al-Raschid, devant qui se prosternait le poète des Orientales ; c’était une création de son génie dans laquelle il s’adorait. Il se sentait heureux d’avoir fabriqué cette majesté plus grandiose que nature ; il l’aimait comme Pygmalion sa statue, c’est-à-dire pour lui-même, pour l’art qu’il y avait déposé beaucoup plus que pour elle. Nous voilà, j’imagine, un peu loin de la petitesse d’un dévouement dynastique ! M. Hugo n’était pas en tout cela plus dynastique qu’il n’est devenu républicain le jour où, pour le besoin de sa phrase, il félicitait le peuple, un peuple aussi fictif que son roi, d’avoir eu deux bonnes pensées en une seule, d’avoir voulu brûler [’échafaud en même temps que le trône. Autre guitare ! comme disent ses poèmes ; rien de plus, rien de moins. Pourquoi la phrase ainsi tournée avait-elle une si fière allure et tombait-elle de si haut ? L’art pour l’art ! Olympio se soucie bien de républicaniser !

J’interpréterais de la sorte les mille endroits où M. Victor Hugo semble engagé dans clés aperçus trop divergens : c’est qu’il peint les choses par le côté qu’elles montrent au soleil. On a eu la méchanceté de supposer qu’il choisissait toujours le côté du soleil levant. En vérité, le côté lui est à peu près égal, pourvu que sa peinture et surtout son pinceau ressortent à la lumière dans leur toute-puissance. J’interroge encore ce discours académique de 1845, mon document providentiel. Depuis 1850, M. Hugo s’est rangé parmi les plus libres penseurs ; il croit à la force invincible, à l’opulence primesautière de la raison humaine ; il défend le cerveau de l’humanité contre les ratures qu’il accuse l’église d’y faire ; il, appelle la Bible une émanation de la sagesse humaine jointe à la sagesse divine. Ces sentimens ainsi exprimés sont peut-être d’une couleur bien voyante : quel charme vouliez-vous donc qu’ils eussent autrement pour l’auteur ? Et quelle bonne raison aurait-il eue d’y venir,