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y a de certain, c’est que, depuis, il n’a pas un instant cessé « de se proposer comme but, comme ambition, comme principe et comme fin, cette vie imposante de l’artiste civilisateur. » Il se l’était promis, il a tenu parole : l’unité de sa pensée est donc désormais hors de cause ; mais, hélas ! quel est au juste l’objet de cette pensée persévérante ? Un plan de conduite pratique, ou un système de rhétorique élégiaque ? Qui est-ce qui n’aperçoit pas, à la seule mine de ces grands mots soigneusement alignés, qu’il ne s’agit pas ici d’affaires positives et de personnes naturelles, que l’auteur est en quête d’un faux idéal, que toute son envie est d’ajouter et d’ajouter encore à la boursouflure die cet idéal artificiel, pour avoir de quoi nourrir le pathos de ses amplifications ? Est-ce qu’il y a rien de réel sous ces mots-là ? Est-ce que ce peuple et ces dynasties, ces rois de l’avenir et ces races mortes, ce prince qu’on va voir dans son Louvre après avoir salué le printemps, ce texte des codes divins qu’on étudie la nuit et le jour, est-ce que tout cela, dans ce style-là, dans cette pompe-là, jamais au monde a vécu tout de bon, vécu en chair et en os, ce qui s’appelle vécu ? Savez-vous à quoi cela ressemble ? A ces sujets de discours, à ces causes imaginaires sur lesquelles on exerçait les jeunes avocats dans les écoles de la décadence romaine, sans autre but que de penser et de faire penser ; Quintilien et Pline le jeune nous en ont transmis la forme et le fond du vide et du vent.

Telle est pourtant toute la provision politique de M. Hugo ; c’est de quoi il entend parler quand il dit, dans la même préface, que le poète véritable « doit contenir la somme des idées de son temps. » Le poète qui est de son temps contient ainsi une infinité de choses heureusement fort élastiques. a des conseils au présent, des esquisses rêveuses de l’avenir ; des panthéons, des tombeaux, des ruines, des souvenirs ; la charité pour les pauvres, la tendresse pour les misérables ; le soleil, les champs, la mer, les montagnes, etc. » Ipse dixie ; c’est encore un texte, et un texte au complet. Ce texte du moins explique comment le vulgaire a quelquefois lieu de s’étonner des aspects changeans que lui offre cette ame immense qui renferme de si ondoyantes richesses ; mais c’est parce qu’il ne s’élève pas jusqu’au point qui domine tous les autres, jusqu’au moi du poète, jusqu’à ce moi qui surplombe l’œuvre entière en s’y réfléchissant, jusqu’à ce moi « dont la profonde peinture est peut-être l’œuvre la plus large, la plus générale, la plus universelle qu’un penseur puisse faire. »

Voyez donc plutôt si ce moi n’est pas toujours resté identique à lui-même ! En 1845, dans ce discours académique qui m’aide un peu à me remémorer le passé, M. Hugo adresse son compliment au roi Louis-Philippe ; rien de plus simple : le lieu et la circonstance n’exigeaient, pas moins du directeur de l’Académie ; mais où se retrouve l’indépendance