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drapeaux qu’on a salués tour à tour avaient tour à tour meilleur effet au soleil, et rendaient plus à l’auteur amoureux de beau style, au peintre en goût d’une débauche de couleurs. Si même il s’est rencontré par hasard dans ce groupe mobile un citoyen qui soit toujours resté fidèle à la même voie, c’est uniquement parce qu’il avait l’imagination moins opulente que les autres, et qu’il la dépensait tout entière sur l’étroit terrain qui ne suffisait pas à défrayer celle de ses rivaux. Je prendrai pour exemple M. Félix Pyat, que ses discours aux chers manans et aux chers porte-blouse classent évidemment parmi les Olympios, mais qui, n’ayant colorié de sa vie que des sujets démocratiques, n’est évidemment aussi qu’un Olympio pauvre. Le riche au contraire, le suprême Olympio ne peut jamais être à court d’images, et, comme les images équivalent pour lui à des convictions, il a, tant qu’il en veut, des convictions de rechange. Le roi, le peuple, la liberté, la religion, toutes les grandes figures et toutes les grandes choses de la vie sociale ne sont, aux yeux de son esprit, de la façon dont son esprit est fait, que des poupées de théâtre, que des mannequins d’atelier, de ces mannequins auxquels les peintres accrochent leurs draperies. Quant à concevoir une notion claire et positive des idées elles-mêmes, quant à les aimer pour elles d’un amour simple et pratique, il en est incapable ; il ne les aime qu’en proportion de ce qu’elles peuvent supporter de phrases.

Cette rhétorique vaniteuse a nui de plus d’une manière au bon sens public, on peut même dire à la moralité politique du pays. Elle a développé outre mesure le penchant trop national qui nous conduit si souvent à prendre des mots pour des raisons. Elle a eu de bien pires effets : elle est devenue, par une affinité naturelle, la meilleure auxiliaire de la démagogie ; elle y était d’avance condamnée. N’ayant point dans la conscience de base assurée qui la fixât à un principe, elle devait tourner au premier souffle un peu violent du vent populaire. N’ayant point l’intelligence de la réalité, elle devait en parler facilement comme en parlent les démagogues, qui ne veulent jamais la voir en face, pour s’abandonner plus à l’aise aux appétits et aux utopies que la réalité contrecarre. Le peuple de la démagogie et le peuple des Olympios ne sauraient différer beaucoup l’un de l’autre : ce sont deux peuples de mélodrame qui n’existent que sur les barricades ou sur les planches. Le vrai peuple, le peuple qui ne se groupe pas en tableaux scéniques ou en rassemblemens d’émeutiers, le peuple qui ne s’amuse pas à murmurer dans quelque coulisse que ce soit pour fournir aux premiers rôles une occasion de tirade, le peuple qui travaille et qui veut travailler en paix, qui se meut et qui respire dans ces millions d’obscures existences attachées, sans plus’, d’ambition, à tous les chemins battus, ce peuple de tous les jours ne se prête ni à la déclamation