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aux choses extraordinaires, ne s’étonnaient d’aucune fortune, et n’en voyaient pas d’assez relevée pour ne point être encore au-dessous de leur niveau. Toutes les variétés de l’orgueil mondain, les plus burlesques comme les plus âpres, se sont produites chez ces Titans avec des dimensions énormes, aussitôt que la vogue les a eu poussés parmi les réalités de ce monde : orgueil de nègre, orgueil de nabab, orgueil de marquis, orgueil de prolétaire, et le plus fastueux de tous, le plus irritant parce qu’il habillerait le néant lui-même de je ne sais quelle pompe sentencieuse qui agace, le plus intraitable parce qu’il s’est arrogé la science infuse des intérêts positifs, comme il affectait d’avoir l’intuition des idées pures, l’orgueil des demi-dieux, celui qui chante :

Peuples, écoutez le poète,
Écoutez le rêveur sacré !
Dans votre nuit, sans lui complète,
Lui seul a le front éclairé.

Qu’est-ce donc, hélas ! que les peuples pourraient apprendre à écouter les Olympios ? Cette absence totale, cet effacement absolu de la pensée que nous avons signalé dans leurs œuvres littéraires leur reste inévitablement quand ils passent à la politique. Il n’y a pas plus de substance, pas plus de solidité dans leurs opinions, dans leurs maximes d’état, qu’il n’y en a dans les fictions de leurs romans ou de leurs drames ; c’est partout le même vide et partout les mêmes recettes d’école pour le dissimuler. La forme seule est leur affaire ; ils ne saisissent des principes que leur aspect sensible et matériel ; ils ne les embrassent que par les côtés où ils touchent à l’amplification. Qu’ils soient bons ou mauvais, ce n’est pas là ce qui leur importe : sur quoi peuvent-ils, pour le quart d’heure, décharger leur palette avec le plus d’avantage ? toute la question est là. Le tourbillon qui les entraîne ne permet ni à la réflexion de s’arrêter ni au sens moral de s’asseoir ; je ne vois que la sensation du pittoresque qui ait prise sur eux. Malheureusement il n’en est pas du pittoresque comme du juste et du vrai, qui sont de leur nature immuables et permanens ; le pittoresque ne réside pas toujours là où il a une fois résidé ; les conditions d’où il sort se déplacent, ses adorateurs trop passionnés se déplacent avec lui. De là cette fâcheuse inconsistance qu’on leur a souvent reprochée, sans se rappeler assez qu’elle est une nécessité de leur art, et que tout leur tort était d’être artistes mal à propos. Il y en à qui ont commencé par un chaud républicanisme pour devenir de très bons monarchistes ; d’autres ont débuté par De Maistre pour aboutir à Fourier : plus le talent a été ondoyant et vif, plus il a fourni de ces corsi et ricorsi, plys il y a de zigzags dans la carrière.

Toutes ces pérégrinations ne prouvent qu’une chose, c’est que les