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de M. Hugo par rapport à l’art d’écrire et à l’hygiène intellectuelle de certains écrivains, on verrait qu’elle mérite une belle place entre les signes du temps, et je m’estimerais très heureux de contribuer à l’élever jusqu’en cette place particulière, aussi heureux qu’un amateur de curiosités qui met de l’ordre dans ses collections, et rétablit sous sa véritable étiquette un objet mal classé.

Le temps où nous sommes est atteint d’un grand mal qui ne date pas seulement, il s’en faut, de 1848. La secousse de 1848 lui a communiqué un redoublement sinistre, elle lui a ouvert plus d’issues, elle en a multiplié les formes aussi bien que les éruptions ; elle ne l’a pas enfanté. Le mal profond de notre pays, et n’est-ce pas un mal incurable ? la source de tous les autres, c’est d’avoir voulu ou possédé depuis soixante ans des institutions démocratiques sans savoir seulement’ ce que c’est que la démocratie, sans s’être jamais soucié de remplir les conditions pratiques qui font le vrai démocrate, et peut-être même sans avoir en soi les qualités propres à le faire. La révolution de février était absolument hors d’état de combler ces lacunes trop essentielles de notre éducation et de notre caractère ; elle a plus cruellement que pas une, desservi la cause dont elle arborait le drapeau, et la liste serait longue de tous les torts dont elle s’est rendue coupable envers le principe qu’elle invoquait. Entre tous cependant il en est un dont la démocratie a plus souffert que d’aucun autre : ç’a été la manie des travestissemens démagogiques, et j’entends par là cette rage bizarre qui a poussé nombre de gens à s’appliquer un extérieur de convention pour s’exhausser, à ce qu’ils croyaient, jusqu’au niveau des circonstances ; j’entends cette mascarade de plagiaires qui a induit à penser que la république n’était point une condition normale de la société française, puisque, pour y avoir rang de citoyen notable, on était tenu de dépouiller si radicalement sa personne ordinaire. Le sujet est complexe, et il embrasse tant de variétés, qu’il a droit aux honneurs d’une nomenclature spéciale dans cette collection où je voudrais voir grouper pour mon plaisir les passions méchantes et les niais mensonges, les concupiscences furieuses et les vanités démoniaques qui peuplent notre Capharnaüm.

On compte en effet à présent bien des façons de rogner les pans d’un habit pour s’y couper une veste. Quelle que soit, au premier abord, l’uniformité de cette opération politique et sociale, on y aperçoit, en regardant de plus près, toutes les diversités qui sont dans le caprice ou dans l’humeur des hommes. L’originalité des individus ressort à travers l’indispensable monotonie du déguisement, et la carmagnole de l’un n’est jamais celle de l’autre. Il y a la carmagnole du gentilhomme populacier qui se jette dans la tourmente des clubs pour continuer les